La Chine est-elle dans l’impasse au Xinjiang ? Vers 13h30 vendredi, des assaillants ont fait irruption dans une rue commerciale de Yarkand, dans le district de Shache, pour jeter des engins explosifs et attaquer les passants à coups de couteaux. Le bilan de quinze morts et autant de blessés a été confirmé par l’agence de presse officielle Chine nouvelle. Dans la région chinoise à majorité musulmane du Xinjiang, le district de Shache, ou Xian de Yarkand, est l’une des onze provinces placées sous l’administration de Kashgar, nœud commercial stratégique et capitale économique choisie par le gouvernement chinois située un peu plus de 190 kilomètres au nord-ouest, près de la frontière avec le Kirghizistan et le Tadjikistan.
Le Xinjiang, province de vingt millions d’habitants, peuplée pour moitié d’Ouïgours, connaît depuis 2013 une vague d’attentats meurtriers, après la relative accalmie qui avait suivi les affrontements meurtriers dans la capitale de la province, Urumqi, en 2009. Les autorités chinoises continuent à répondre à ce qu’elles considèrent comme des mouvements terroristes mais la répression ne semble plus en mesure de faire face à la multiplication des attentats, bien au contraire. Il semble en effet qu’au sein de la communauté ouïgoure soumise à une forte pression démographique du fait de l’implantation toujours plus importante des Hans, la radicalisation idéologique progresse. La répression chinoise est toujours motivée par la crainte d’une résurgence du séparatisme panturc et les attentats ont d’ailleurs eu symboliquement lieu dans un district au passé exceptionnellement marqué par l’influence turque et séparatiste. C’est dans cette partie du Xinjiang que le seigneur de la guerre Yakub Beg fonda l’éphémère royaume de Kashgaria qui tint tête aux Chinois de 1870 à 1877 avant d’être détruit. C’est aussi non loin de Yarkand, dans la région de Kashgar, que fut proclamée en septembre 1933 la première République du Turkestan Oriental… qui fut abattue quatre mois plus tard, en janvier 1934. Une seconde République du Turkestan Oriental connut aussi une courte existence de 1944 à 1949, avant que ses représentants ne soient tués sur ordre de Mao et avec l’assentiment de Staline lors du supposé accident de l’avion qui les amenait à Pékin pour assister à la Conférence consultative politique du peuple chinois.
Pour autant, ce qui se passe aujourd’hui au Xinjiang semble échapper à la logique panturque elle-même. Les derniers attentats perpétrés ont cette particularité d’impliquer des attaques au couteau et des attentats à la grenade ou des attentats suicide qui visent des quartiers ou des populations ouïgoures, comme cela a été le cas avec l’attaque d’Urumqi en mai 2014, ou celles intervenues dans le comté de Yarkand en août 2014 et aujourd’hui, qui ont occasionné la mort de cinquante personnes à elles deux. Bien qu’il soit difficile d’en attester, les rumeurs font état de groupes islamistes radicalisés et entraînés en Afghanistan et au Pakistan voisin, ce qui n’a rien d’irréaliste si l’on considère les difficultés à surveiller une frontière très poreuses, dont les multiples cols montagneux sont autant de voies de passage. La pression exercée par les autorités chinoises sur la communauté ouïgoure pourrait aussi largement expliquer cette radicalisation nouvelle qui s’exporte désormais hors des frontières du Xinjiang, comme en témoignent l’attentat de la gare de Kunming, dont la lointaine province du Yunnan, à 5000 kilomètres au sud-est, ou l’attentat à la voiture piégé de la place Tiananmen en novembre 2013.
Les événements récents et ce nouveau bain de sang à Yarkand suggèrent en tout cas que la région de Xinjiang est de plus en plus aspirée dans la spirale du radicalisme. Les autorités chinoises, qui craignent tant la résurgence du panturquisme, pourraient se trouver confrontées à l’émergence du djihadisme, de la même manière que les Russes dans le Caucase. Ce serait aussi une très mauvaise nouvelle pour la grande majorité de la communauté ouïgoure, dont l’islam traditionnel soufi ferait certainement mauvais ménage avec l’islamisme sunnite en provenance d’Afghanistan ou du Pakistan.
*Photo : wikimedia.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !