Si la Chine inquiète et doit être contenue, nul besoin de céder à l’alarmisme : les signes de son déclin indiquent déjà qu’elle ne sera jamais la puissance mondiale dominante.
C’est un grand peuple d’Extrême-Orient, à la mémoire aussi longue que son histoire est ancienne, parfois agressif avec ses voisins, parfois refermé sur lui-même pendant des siècles. Un pays dont les prouesses économiques et technologiques, tout comme le mode opératoire opaque de ses élites, ne cessent d’inquiéter. Description familière ? C’est pourtant la perception que nous avions du Japon à la fin du siècle dernier : de L’Énigme de la puissance japonaise (1989) à The Coming War With Japan (1991), les best-sellers se multipliaient alors pour annoncer le déclassement de l’Occident et le triomphe du Japon. Une génération plus tard, l’archipel n’a plus qu’une seule ambition : gérer son déclin. Il y a là une leçon pour ceux qui estiment inéluctable l’avènement de la Chine au rang de première puissance mondiale – et n’envisagent de réaction que la soumission ou la guerre. Car, pour paraphraser Mao Zedong, la Chine est en vérité un dragon de papier : ses forces sont limitées, son attrait faible et son déclin déjà engagé.
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Une population vieillissante et un isolement inévitable
La puissance d’un pays commence avec la démographie. Après quelques mois de flottement, le gouvernement chinois a certes admis en mai une chute de la natalité sans précédent depuis 1949, en dépit de la fin de la politique de « l’enfant unique », mais son Bureau national des statistiques a proclamé une légère hausse de la population générale. La réalité n’est pas un mystère pour les démographes : la Chine a commencé de se dépeupler, dix ans après que sa population active a, elle aussi, officiellement amorcé sa décrue. D’ici 2030, l’Inde la dépassera et elle devrait glisser sous la barre du milliard d’habitants avant la fin du siècle. Plus grave : en 2019, les 40-55 ans représentaient la classe d’âge la plus nombreuse et, d’ici une génération, les plus de 60 ans seront plus nombreux que les moins de 30 ans. Ce rapide déclin démographique va mettre à mal un système social embryonnaire, tout à fait incapable de gérer l’arrivée de centaines de millions de retraités. Le constat est irréfutable : la Chine sera un pays vieux avant d’être un pays riche.
Passons à la géographie. Entourée de pays méfiants sinon hostiles, la Chine n’a cessé de dilapider son capital diplomatique ces dernières années. La Corée du Sud et le Japon collaborent économiquement, mais choisiront toujours l’Occident, tout comme Taïwan dont l’identité se construit contre la Chine. Ses alliés (Corée du Nord, Myanmar, Émirat d’Afghanistan, etc.) sont incontrôlables. L’Asie du Sud-Est tolère de moins en moins la brutalité de Beijing : du détournement des eaux du Mékong aux îles artificielles militarisées, c’est toute la région qui se crispe. En Afrique, le « colonialisme des matières premières » suscite la méfiance. Ajoutons à cela l’indignation mondiale que provoque le traitement des populations du Tibet, du Xinjiang et de HongKong, et l’hypothèse de la Chine comme superpuissance alternative s’évanouit : si n’étaient la peur et la corruption, la Chine est relativement seule.
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La guerre ? Trop cher
Vieillissant, isolé, l’empire du Milieu jouit-il au moins d’une puissance idéologique et culturelle, ce que les diplomates nomment le soft power ? Auprès de certains dictateurs, son modèle de gouvernance plaît sans doute ; auprès des peuples, en aucun cas : la pandémie a du reste prouvé que le modèle chinois n’avait non pas permis de mieux gérer la crise sanitaire, mais au contraire l’avait rendue mondiale par ses mensonges et ses cafouillages, provoquant des millions de morts. La menace permanente qui pèse sur ses entreprises, y compris high-tech, fait que plus un seul entrepreneur au monde ne la choisirait à la place de la Californie. Ses créations culturelles (cinéma, littérature, musique), soumises à une censure féroce et xénophobe, ne s’exportent pratiquement nulle part. Souvent perçus comme des officines de propagande, ses instituts Confucius périclitent et l’enseignement du mandarin, dont on annonçait qu’il rivaliserait bientôt avec l’anglais, stagne en Occident, quand il ne recule pas (Royaume-Uni). Idem en ce qui concerne le « langage du futur » : le code informatique se fait partout en anglais, y compris en Chine. La réalité, là encore, est bien loin des fantasmes : en matière de soft power, la Chine est sur la défensive et demeure un nain, comparée aux États-Unis.
Reste la guerre, et son nerf : l’économie. Incontestablement, la Chine a connu un développement fulgurant depuis les réformes de Deng Xiaoping. Mais il ne faut pas l’exagérer : selon le FMI, sa richesse par habitant la classait en 2017 juste au-dessus de l’Algérie. Or, une puissance n’est capable de se projeter que lorsque ses habitants sont nourris, logés, équipés, et ses infrastructures pérennes. Ce n’est pas la masse de la richesse produite annuellement qui importe, mais le surplus par habitant qu’elle peut consacrer à la conquête. Avec des centaines de millions de travailleurs précaires, parfois errants, un système social qui va devoir absorber le choc d’un vieillissement brutal et une économie qui, loin des statistiques triomphales, était selon le consensus entrée dans un cycle de croissance mûre (i.e. faible) avant la pandémie, le régime chinois ne pourra pas à la fois assurer sa survie en contentant sa population et mener une politique impérialiste. Pour mémoire, rappelons ce que Beijing n’a jamais oublié : l’incapacité à gagner la guerre de Corée et la défaite au Vietnam.
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Faut-il en conclure que la Chine ne présente aucune menace, ni pour l’Europe, ni pour l’Occident, ni pour le monde ? Certainement pas. Mais il nous la faudra gérer avec lucidité, sans panique. La Chine est et restera une grande puissance. Parmi d’autres. Pour le dire comme l’historien René Grousset, tout indique que la Chine a raté « son heure » : elle ne dominera jamais le monde.