La République populaire note les Chinois


La République populaire note les Chinois

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L’enfer est en Chine comme ailleurs pavé des meilleures intentions, mais selon des modalités qui lui sont propres et qui ne manquent pas d’étonner l’observateur européen. Dans un contexte de lutte acharnée contre la corruption galopante que connait le pays, les autorités chinoises pensent avoir trouvé la solution : un système de notation des citoyens et des entreprises qui évaluera la confiance, financière mais aussi morale, à accorder à chacun. C’est ainsi qu’à en croire un document du Conseil d’Etat (gouvernement) chinois, chaque citoyen comme chaque personne morale de la République Populaire de Chine devrait dans quelques années être l’heureux titulaire d’une sorte bien particulière de carte de crédit « avec des caractéristiques chinoises ».

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Le pilori, sympathique conséquence du système global d’évaluation des gens en Chine selon les médias officiels chinois.

Concrètement, il devrait s’agir d’une note chiffrée, qui ne mesurera pas seulement la capacité financière de son titulaire, mais aussi  le niveau de confiance symbolique à lui accorder. Chaque citoyen, comme chaque entité morale, devrait pouvoir faire l’objet par l’Etat d’une évaluation de sa qualité morale, évaluation répertoriée sur un document officiel. En toute logique, et même si les dispositions concrètes de ce vaste projet d’ingénierie sociale ne sont pas encore très claires,  ce document devrait pouvoir être consulté par les citoyens et les personnes morales dans le cadre de transactions, commerciales ou autres, entre Chinois, et sans doute aussi entre Chinois et étrangers. Car comment croire que ce projet cauchemardesque, s’il voit le jour, pourrait s’arrêter aux portes de la Chine alors que ses échanges avec le reste du monde ne cessent de s’accroitre, en même temps que le poids économique, diplomatique et militaire de ce pays ?

On n’ose imaginer les multiples applications (dans le domaine matrimonial par exemple) que pourrait avoir un tel dispositif, qui devrait fonctionner dès 2020. On n’ose imaginer non plus le statut au sein de la société chinoise des citoyens « blacklistés » par les évaluations convergentes du peuple et du gouvernement, ni les conséquences que la peur de se voir octroyer ce statut pourrait avoir sur la société chinoise, déjà bien mal en point après trente ans de maoïsme et trente-cinq ans de capitalisme effrénés. J’espère ardemment me tromper mais le pire est peut-être qu’en vertu de l’adage totalitaire selon lequel seul le citoyen qui a quelque chose à cacher pourrait avoir quelque chose à redire à la transparence, ce projet ne semble faire aujourd’hui l’objet d’aucune critique de fond en Chine. Au contraire, le pouvoir paraît confiant et fait part dans la presse officielle des « retours positifs » en provenance de la société civile, qui semble se réjouir à l’idée de pouvoir bientôt punir les pourris, en collaborant avec enthousiasme à ce vaste système de démocratie participative.  Le gouvernement qui ne doute pas plus de la collaboration des mastodontes chinois de l’Internet, prévoit en outre benoitement d’utiliser les multiples évaluations dont font l’objet les citoyens et les entreprises sur le web chinois pour alimenter son système de promotion et de contrôle administratif de la vertu. J’écrivais dans un article récent que le flicage de tous par tous progressait en Chine plus vite encore qu’ailleurs. J’étais loin d’imaginer l’ampleur du mal. Il faut dire que ce projet, pourtant prométhéen, est passé sous les radars des experts et des médias occidentaux.  Seul un lucide universitaire belge travaillant à l’université d’Oxford, Rogier Creemers, a récemment attiré l’attention de ses pairs et des journalistes sur ce projet, en traduisant l’intégralité de la directive produite il y a déjà presque un an par le gouvernement chinois.

Le syncrétisme communo-capitaliste chinois fait preuve d’une inventivité remarquable. C’est en effet en étendant à la sphère morale les évaluations chiffrées des établissements de crédit que le parti communiste veut promouvoir la vertu et la confiance entre les citoyens. La banque centrale chinoise possèderait déjà des évaluations chiffrées du crédit financier à accorder à quelque 800 millions de Chinois. C’est ce fichier que le gouvernement prévoit d’étendre à l’ensemble de la population et de développer en intégrant à cette évaluation une dimension morale. Quelle est exactement la nature d’un système politique ravagé jusqu’au sommet par la corruption mais qui envisage de donner une note à la vertu de chacun de ses citoyens ? Voilà une étrange question que soulève l’émergence simultanée de la Chine et des nouvelles technologies, et que bien peu de politologues auraient pu imaginer devoir un jour se poser.

*Photo : wikicommons.



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