Les droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium étaient censés punir la Chine. Raté, ils lui profitent au contraire. Et nuisent bien davantage à l’industrie européenne…
Voici près d’un an que l’Europe et les Etats-Unis mènent une guerre commerciale. Donald Trump a ouvert les hostilités en annonçant le 31 mai 2018, via son secrétaire au Commerce Wilbur Ross, que l’Union européenne (UE), dans un premier temps exemptée, serait finalement elle aussi soumise à des droits de douane de 25% sur l’acier et de 10% sur l’aluminium. S’ils concernent aussi la Chine, ces droits de douane n’entravent pourtant par la production d’aluminium de l’Empire du Milieu. Un paradoxe ? A première vue seulement.
La Chine importe la guerre aux Etats-Unis
De la part d’un pays dans lequel toute la production industrielle est contrôlée par un Etat centralisé et collectiviste, et dans lequel les normes d’emploi et de coût d’énergie généralement observée ailleurs ne s’appliquent pas, cette production effrénée n’a rien d’étonnant. Mais au-delà de la question du subventionnement, c’est le système de sanctions mis en place par les Etats-Unis qui interroge, en se révélant, par des effets pervers, favorable à Pékin.
Les taxes douanières qui existent ne sont pas des règles absolues, mais sont assujetties à une procédure de demande d’exceptions. Une entreprise américaine spécialisée dans l’acier ou l’aluminium peut en effet présenter une demande d’exemption tarifaire au département du Commerce des États-Unis, en démontrant que le produit dont elle a besoin n’est pas disponible à l’achat sur le territoire américain. A Washington D.C., le bureau de l’Industrie et de la Sécurité (BIS) du ministère du Commerce se consacre à l’étude de telles exemptions et objections.
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Et il se trouve que les Etats-Unis accordent de très nombreuses exceptions à des producteurs chinois, par l’intermédiaire de leurs filiales américaines. En octobre dernier, les exceptions concernant des entreprises de capitaux chinois représentaient ainsi 27 % des exceptions totales accordées par l’administration américaine. 94 % des demandes d’exceptions provenant de ces entreprises chinoises implantées sur le sol américain avaient été approuvées, contre seulement 25 % des demandes d’exceptions initiées par des entreprises strictement américaines.
Le Canada douille
Le Canada accuse également le coup. Depuis la mise en place des restrictions, l’ancien plus gros fournisseur en aluminium des Etats-Unis a reçu, en exceptions, l’équivalent de 0,2% de ses exportations de 2017. Une broutille. Pour venir en aide à son industrie, violemment touchée par l’article 232 américain instituant ces droits de douane, le gouvernement fédéral canadien vient d’ailleurs de décider d’injecter 100 millions de dollars canadiens (environ 66 millions d’euros) dans ses industries de l’acier et de l’aluminium, à destination principalement des petites et moyennes entreprises.
Pourquoi cette sélectivité commerciale ? Le New York Times semble suggérer que le processus d’exemption, compliqué (une plainte que des producteurs ont déjà exprimée), permet à certains grands producteurs d’acier et d’aluminium américains, proches de l’administration Trump, de bloquer des centaines de demandes émises par leurs concurrents, y compris nationaux, en invoquant d’obscures raisons.
La Chine graille
Une chose est en tout cas certaine : si les sanctions américaines sont délétères pour nombre de pays, voire pour un certain nombre de producteurs américains, elles le sont beaucoup moins pour d’autres. L’industrie de l’aluminium, en berne au Canada ou en Europe, connaît ainsi ses plus belles heures en Chine. Selon les données du département des douanes de la Chine, les producteurs chinois ont envoyé 552 000 tonnes métriques de produits d’aluminium à l’étranger en janvier, dépassant ainsi le total révisé de 520 000 tonnes métriques de décembre et dépassant le précédent record de 542 700 tonnes métriques, daté de décembre 2014.
Les exportations de produits d’aluminium de la Chine ont dépassé les 500 000 tonnes au cours de sept des huit derniers mois. En parallèle, les exportations de produits sidérurgiques ont bondi de 33,1% par rapport à l’année précédente, pour atteindre 6,19 millions de tonnes en janvier, soit le plus haut niveau depuis juin.
Et l’Europe trinque
La Chine surproduit à des coûts défiant toute concurrence, inondant notamment le Vieux continent de ses produits d’aluminium bon marché. Non sans dommages. Les importations massives d’aluminium chinois en Europe ont des répercussions dramatiques sur la filière de l’aluminium européenne. Comme en Espagne, où la fonderie Alcoa menace de fermer ses portes. Si tel était le cas, le pays ne compterait plus aucune fonderie d’aluminium primaire.
La situation est alarmante, et les motifs d’espoir se font rares. La Chine vient d’annoncer la mise en place d’une mesure visant à réduire de 90 milliards de dollars la TVA pour tout le secteur manufacturier – autrement dit, de supprimer ni plus ni moins cet impôt indirect pour toutes ces industries, ce qui devrait encore doper leur compétitivité. Que faire pour organiser la riposte, et contribuer à rendre notre industrie plus compétitive à son tour ? La surproduction chinoise, favorisée par une concurrence déloyale via des distorsions de marché, est encore renforcée par des réglementations de commerce compliquées et non-transparentes. A long terme, le but du libre-échange doit être de créer des règles compréhensibles, facilement navigables, et équitables pour tous les acteurs sur le marché.
L’art de la guerre
Selon Jean-Marc Germain, PDG du spécialiste de l’aluminium Constellium opérant sur trois continents (Europe, Amérique, Asie), « les taxes douanières américaines n’ont pas contribué à mettre fin au comportement déloyal de la Chine », bien au contraire. Autrement dit, il est vain pour un Etat de prétendre réguler le marché en décrétant des sanctions, de façon unilatérale, à l’encontre d’autres Etats. Ce n’est pas le bon outil. Des règles doivent être posées à un niveau supranational et s’appliquer sans distinction à tous les acteurs du marché.
A ce titre, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) joue, on s’en doute, un rôle de premier plan. Une OMC qui, en dépit des conditions d’adhésion plus strictes soumises à la Chine, membre depuis 2001, n’a pas su empêcher Pékin de faire usage de subventions quitte à en abuser en ne les déclarant pas. Pour y couper court, l’OMC doit se doter d’un mécanisme plus efficace de lutte contre ces aides illégales, qui pourrait par exemple consister en des sanctions administratives plus élevées. L’oncle Sam, s’il souhaite réellement s’attaquer au problème de surcapacité chinois, serait inspiré de ne plus sortir de sanctions de son chapeau et de s’asseoir, en compagnie de la Chine et de tous les pays membres de l’OMC, à la table des négociations. Seule façon, on le voit, d’espérer mettre Pékin en conformité.
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