Luttes de factions, assassinats en série et procès truqués sur fond d’Etat policier : Coup d’état à Pékin est une enquête passionnante sur le paradis du communisme 2.0.
Le Balzac d’Une ténébreuse affaire aurait aimé Coup d’État à Pékin, l’étonnant document écrit par Ho Pin et Huang Wenguang, deux journalistes chinois qui résident désormais aux États-Unis. La Chine est pour vous un continent vaguement inquiétant, tenu d’une main de fer par un parti communiste qui n’a a gardé du communisme que l’appareil policier impitoyable pour contrôler une société livrée à l’économie de marché la plus échevelée, en passe de devenir la première puissance mondiale du XXIe siècle ? La réalité est bien plus effrayante encore.
Coup d’État à Pékin est une remarquable et passionnante porte dérobée donnant sur les coulisses d’un pouvoir où des factions corrompues s’affrontent à coups de rumeurs, d’intoxications, de manipulations de l’opinion et des médias, y compris étrangers, d’emprisonnements arbitraires, de procès retentissants et, à l’occasion, de meurtres ou de morts spectaculaires. On retiendra celle d’un jeune chef de cabinet de grand dignitaire dans un accident de Ferrari avec deux étudiantes à moitié nues à son bord. Dans cette Chine 2.0, on ne distille plus les accusations ou les calomnies dans des dazibaos mais sur les blogs ou le « WeiBo », l’équivalent chinois de Twitter.
Ce jeu d’ombres d’un raffinement qui n’a d’égal que la violence commence le 24 novembre 2011 par ce qui aurait pu rester un fait-divers banal : Neil Heywood, homme d’affaires britannique, peut-être un peu espion sur les bords, marié à une Chinoise, est retrouvé mort de façon apparemment naturelle dans une villa de l’hôtel Bellevue, un palace en altitude à quelques kilomètres de la plus grande ville de Chine, Chongqing, 38 millions d’habitants. L’enquête est rondement menée par la police locale et le corps de l’homme d’affaires est incinéré sans autopsie.
La police s’en mêle
Tout aurait pu s’arrêter là si le chef de la police locale, une brute épaisse au service du puissant maire Bo Xilai, étoile montante du parti, surnommé élégamment « Bo bite en l’air », n’avait pas découvert les liens de l’homme d’affaires avec la femme de son maître et ne s’était pas réfugié, comme quelqu’un qui en sait trop malgré lui, dans un consulat américain avant de se rendre aux autorités chinoises. Son procès précipite la chute de Bo Xilai qui se voyait déjà au sommet de l’État et finit condamné à perpétuité en 2013, comme sa femme, dans une prison de luxe.
Se refusant à entrer dans un jugement, même s’ils ne sont pas dénués parfois d’une certaine ironie (que l’on doit peut-être au travail d’édition et de traduction de Vera Su et de Georges Liébert), les auteurs établissent la généalogie reliant cette histoire de prise de pouvoir occulte à quelques grands archétypes de la culture chinoise.
Après le Kuli, l’exécuteur des basses œuvres, puis le TaiZi Dang, ou fils de prince, comme sont nommés les descendants des premiers compagnons de Mao, entre en scène Huo Shui, c’est-à-dire l’eau empoisonnée, belle métaphore pour désigner la femme fatale, avant que tout se dénoue provisoirement par le Cheng Wang Baï Kou, qui dans l’ancienne cour impériale désignait à la fois le vainqueur d’une lutte pour le pouvoir et la façon dont on oubliait volontairement les procédés qu’il avait utilisés pour s’en emparer.
Bref, en Chine comme ailleurs, tout change pour que rien ne change. Mais la façon dont est illustrée ici la théorie du papillon qui fait qu’un simple battement d’ailes à Chongqing renversera bientôt un empereur à Pékin est aussi fouillée que spectaculaire.
Coup d’État à Pékin, de Ho Pin et Huang Wenguang, traduit de l’anglais par Georges Liébert, éditions Slatkine & Cie, 2017.
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