(Avec AFP) – Le père Lin Xiuqiang, curé de la paroisse de Hedong, est ravi de sa nouvelle église flambant neuve, avec son haut clocher surmonté d’une croix. Et reconnaissant envers les autorités communistes, qui viennent de financer l’édifice pour 17 millions d’euros.
Pourtant, des églises ont été rasées par dizaines et des croix abattues ces derniers mois dans l’est de la Chine, un message clair du régime aux 70 millions de chrétiens du pays, dont l’essor religieux inquiète le pouvoir.
C’est que la réalité a deux facettes : les chrétiens chinois sont divisés entre une Eglise « officielle », qui a fait allégeance au Parti communiste (PCC), maître tout-puissant du pays, et une Eglise « souterraine », dite « du silence », fidèle au Vatican pour les catholiques ou simplement indépendante du Parti pour les protestants.
Dans l’Empire du milieu, on ne rejoue pas Don Camillo avec ses éternelles petites guéguerres stériles entre la calotte et le goupillon. On vise l’efficacité. Les autorités locales autorisent donc de nouveaux clochers à pointer vers le ciel, et déversent même des fonds généreux pour s’attirer les bonnes grâces des fidèles… pourvu que leur fidélité aille à l’Eglise officielle.
Car pour le Parti unique chinois, il est inconcevable qu’une partie de la population puisse faire allégeance, même à travers ses prières, à un chef d’Etat étranger – ainsi que le Pape est perçu – ou échappe à sa tutelle obligatoire, comme dans le cas des protestants.
Bâtie en briques rouges, l’église du père Lin, destinée aux catholiques de la grande métropole portuaire de Tianjin, à 120 km à l’est de Pékin, a été terminée le mois dernier. Dans la nef, la lumière filtrée par les vitraux scintille sur des chandeliers de verre et rayonne sur un immense crucifix dominant les rangées de bancs en bois tout neufs.
Les 120 millions de yuan (17 millions d’euros) de la construction ont été payés par le gouvernement de Tianjin, raconte le père Lin à l’AFP. « On est content. L’Église nous donne un nouveau lieu où pratiquer notre foi », dit-il en s’extirpant du confessionnal.
Son église est sous l’égide de l’Association patriotique des catholiques chinois (APCC), fondée par le Parti communiste après la rupture en 1951 du Vatican avec la Chine de Mao Tsé-toung.
Mais à quelques kilomètres de là, celle de l’évêque de Tianjin nommé par Rome et donc « non-officiel », Mgr Melchior Shi Hongzhen, connaît un sort bien différent : ce prélat de 88 ans surveillé par la police est confiné dans son église du pont de Zhongxin, faite d’un assemblage de panneaux métalliques attaqués par la rouille, sans chauffage, ceinte d’égouts à ciel ouvert et coincée sous une rocade autoroutière surélevée… A l’entrée de l’édifice, un Christ et une vierge Marie sont surmontés d’une croix oxydée.
« Voyez par vous-même la qualité de notre environnement », lâche un paroissien qui requiert l’anonymat.
A Tianjin, les catholiques sont estimés à une centaine de milliers. Parmi eux, des centaines se pressent chaque dimanche dans l’église du vieux prélat « non-officiel », certains assis à même le sol ou debout à l’extérieur faute de place, pour écouter son sermon, assourdi par les grondements des camions sur la rocade.
Ces fidèles attendent depuis plus de 10 ans l’autorisation de bâtir une nouvelle église. « On est une Église souterraine, pas sous contrôle gouvernemental. C’est pour cela qu’on ne nous soutient pas », explique Mme Guo, une paroissienne.
Depuis l’an dernier, les autorités du Zhejiang, une province plus au sud, foyer important du protestantisme en Chine, ont même lancé une campagne de démolition des églises. Selon China Aid, une association de défense américaine, 30 édifices ont été rasés en 2014 et une centaine de croix ont été enlevées d’autres lieux de culte, y compris de ceux agréés par les autorités. Une offensive extrême qui reste toutefois assez confinée à cette province.
A contrario, 5 195 églises ont été construites ou rénovées en Chine entre 2007 et 2012, selon la presse officielle chinoise. Au cours de la seule année 2014, plusieurs dizaines de nouvelles églises vouées au culte « officiel » sont sorties de terre, selon les médias chrétiens.
A Hangzhou même, capitale du Zhejiang, les autorités ont financé l’édification d’une église capable d’accueillir plusieurs milliers de fidèles. La ville voisine de Suzhou, ou encore celle de Fuzhou – capitale de la province de Fujian – ont, elles, investi dans l’édification de lieux de culte protestants.
A la campagne, les églises sont généralement financées par les fidèles eux-mêmes, une fois accordés les permis de construire, indiquent les analystes, dans un pays qui comptait en 2010 environ 58 millions de protestants et 9 millions de catholiques – toutes Églises confondues, officielles ou non –, selon le Centre de recherches américain de Pew.
« Tant que les choses se déroulent dans le système officiel, le gouvernement se montre tolérant », assure Liu Peng, expert des relations Église-Etat auprès du gouvernement chinois. Et localement, les responsables financent d’autant plus volontiers des lieux de culte quand il s’agit de contrecarrer l’essor de communautés de croyants « non-déclarées », remarque-t-il.
A Pékin même, dans le district aisé de Haidian qui concentre nombre de communautés religieuses souterraines, les autorités ont ainsi financé en quasi-totalité une église évangélique ultra-moderne, confiée à des architectes allemands et terminée en 2007.
Les chrétiens de l’Eglise souterraine, eux, n’ont aucun espoir de voir leurs projets approuvés. Aux lieux de culte officiels, ils préfèrent souvent des sanctuaires de fortune. Tel appartement au-dessus d’un cabinet de dentiste, où des messes sont célébrées. Tels bureaux un brin délabrés, comme ceux de la congrégation du « Nouvel arbre », face à une agence de voyage… et voisins d’une église officielle nouvelle et rutilante.
« Là-bas », lance Yang, fidèle du « Nouvel Arbre », « il faut s’aligner sur les vues politiques du pouvoir. Beau bâtiment. Mais spirituellement pauvre ».
*Photo : © AFP Fred Dufour
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