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China über alles


Photo : AP

Que peuvent avoir en commun deux pays aussi différents que la Chine et l’Allemagne ? Qu’est ce qui peut rapprocher un géant asiatique de plus de 1,3 milliards d’habitants, vendant au monde entier des produits à bas coûts, et une vieille nation industrielle de 80 millions d’âmes, ayant construit son succès sur la qualité du made in Germany ?

Les similitudes sont nombreuses, si l’on en croit Jean-Michel Quatrepoint, qui publie un indispensable Mourir pour le yuan. Elles découlent d’un même modèle de développement : un mercantilisme agressif, autorisé par la pratique d’un protectionnisme plus ou moins avoué.

« Protectionnisme » : revoilà ce concept qui divise. Si ses adeptes se font de plus en plus loquaces, ses détracteurs le sont davantage. Comme l’expliquait ici Daoud Boughezala, on ne compte plus les procès en « extrêmedroitisation » adressés aux tenants de la démondialisation. Le plus notoirement imbécile fut celui intenté par Raphaël Enthoven, qui grandiloquait récemment en ces termes : « la démondialisation est un symptôme qui se prend pour une solution, c’est une formule magique ». La Chine, comme l’Allemagne, ont dû tomber dans la potion il y a bien longtemps…

Il faut dire que ces deux pays traînent derrière eux un lourd passé, qu’ils semblent avoir décidé de solder. Plus encore que l’Allemagne d’après la seconde guerre mondiale, la Chine fut durablement affaiblie par la guerre de l’Opium, dont l’auteur nous remémore les détails avec un vrai talent d’historien. Mais depuis Mao, la « renaissance de la nation chinoise » est en marche. Avançant sur deux jambes, le communisme au plan politique et le capitalisme dans le domaine économique, ce grand pays n’aspire qu’à une chose : retrouver son rang mondial. Pour ce faire, il n’hésite pas à utiliser les règles de la mondialisation sans jamais en jouer vraiment le jeu, comme l’explique Jacques Sapir dans La démondialisation.

Quatrepoint semble partager l’avis de son confrère. Il considère que les Chinois pipèrent les dés en 2001, en adhérant à l’Organisation mondiale du commerce. Il voit d’ailleurs cette entrée dans l’OMC comme « un événement éclipsé par les attentats du 11 septembre (…) et qui sera pourtant, lui aussi, ô combien, lourd de conséquences ». Car depuis lors, la Chine « accumule pour acheter le monde ». Elle détient d’ores et déjà des réserves dépassant les 3 000 milliards de dollars.

Tout comme notre cousin germain, dont l’économie est entièrement dédiée à l’exportation, la Chine a développé une économie de type mercantiliste. Le « Vampire du Milieu » [1. Selon l’expression de Luc Richard et Philippe Cohen dans leur livre éponyme], n’hésite pas à pratiquer toutes sortes de dumping. Dumping environnemental, bien sûr, mais aussi dumping social, avec le maintien de salaires extrêmement bas en dépit d’une croissance forte, et l’exploitation de nombreux mingong, ce lumpenprolétariat composé de travailleurs migrants. Pékin pratique enfin un dumping monétaire sauvage. Elle a arrimé sa monnaie au dollar, empêchant ainsi la hausse naturelle que devrait générer le dynamisme économique. D’ailleurs, la réévaluation du yuan est un sujet tabou pour les autorités chinoises.

Quelles convergences, ici, avec l’Allemagne ? Selon Quatrepoint, ces deux pays possèdent ce qui fait défaut à nombre de nations occidentales : une véritable stratégie économique. Ils ont en partage une démographie atone, qui les contraint à accumuler d’impressionnantes quantités de réserves, en prévision d’un très prochain « papy boom ». Et si le géant asiatique s’enrichit surtout au détriment des Etats-Unis, notre voisin d’outre-Rhin le fait quant à lui sur le dos…de ses partenaires européens.

Du dumping social, en Allemagne ? Certainement. Son modèle « holiste », typique de ce que Michel Albert appelait le « capitalisme rhénan », lui a permis de pratiquer sans heurts sociaux une politique systématique de gel des salaires. Dumping monétaire ? Pas à proprement parler, puisque l’euro interdit toute manipulation des taux de change. Mais l’Allemagne n’en a nul besoin. En effet, si la devise européenne est très surévaluée pour la plupart des économies de l’eurozone, elle demeure sous-cotée par rapport à ce que serait le mark aujourd’hui. Pour Laurent Pinsolle, c’est d’ailleurs l’une des raisons de l’attachement allemand à la monnaie unique : sa désintégration « serait une catastrophe pour Berlin car l’appréciation du mark réduirait les exportations allemandes dans l’ancienne zone euro ».

A Mourir pour le yuan, Jean-Michel Quatrepoint a donné un sous-titre : « comment éviter une guerre mondiale ». Outrancier, sans doute. Mais peut-être l’auteur tenait-il à répondre par avance à ceux qui scandent à l’envi, de manière tout aussi excessive: « le marché libre ou bien la guerre ! ».

Au demeurant, à l’échelle de cette Europe qui nous fut vendue comme la garantie d’une Paix perpétuelle, les récents efforts de l’Allemagne face au drame grec peinent à réparer les dégâts de sa trop longue politique de « cavalier solitaire ». Les forces centrifuges croissent chaque jour, les uns vilipendant « l’égoïsme allemand », les autres le « laxisme grec ». Dès lors, avant de mourir pour le yuan, accepterons-nous, nous, peuples d’Europe, de mourir…de l’euro ?

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