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Chili, 11 septembre 1973


Chili, 11 septembre 1973

allende chili 1973

Mercredi 11 septembre, cela fera quarante ans que le général Pinochet, après un putsch suivi d’une violente répression, s’emparait du pouvoir au Chili en renversant le président élu Salvador Allende. Au-delà du traumatisme que cela représenta pour la gauche mondiale qui encore une fois voyait une expérience démocratique de transition vers le socialisme noyée dans le sang, il n’est pas impossible que le 11 septembre 1973 nous ait fait entrer dans une époque dont nous ne sommes toujours pas sortis : celle du capitalisme du désastre.

Il y a quelques années, un livre de Naomi Klein, La stratégie du choc, montrait que le capitalisme avait besoin de crises graves pour pouvoir imposer pleinement sa logique voire se relancer quand la fameuse baisse tendancielle du taux de profit avait vidé ses caisses. On sait depuis Marx que le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée l’orage ce qu’ont prouvé les  deux guerres mondiales du vingtième siècle qui ont fait quelques dizaines de  millions de morts, histoire que les affaires reprennent après que les comptes eurent été apurés en exacerbant des nationalismes jetés les uns contre les autres. Plus généralement, la bourgeoisie, qui préfère toujours Hitler au Front Populaire, a périodiquement besoin de la catastrophe pour sauvegarder ses intérêts de classe et trouver de nouveaux marchés.

C’est pourquoi, il y a quarante ans, le coup d’état au Chili ne marqua pas seulement une étape sanglante du grand jeu de la Guerre froide mais aussi le point de départ, sur le plan économique, de la révolution conservatrice.

La société du Mont Pèlerin, fondée dès 1947 par Friedrich von Hayek avait entamé un long, un très long travail de reconquête intellectuelle du libéralisme. Dans l’après-guerre, pour les pays en ruines, la seule solution était en effet une intervention massive de la puissance publique. Laisser la loi du marché œuvrer dans de telles conditions aurait été suicidaire et la France, par exemple, aurait pu attendre longtemps ses Trente Glorieuses et ses grands projets industriels sur lesquels nous vivons encore aujourd’hui si on avait laissé régner on ne sait quelle concurrence libre et non faussée.

Mais Hayek et quelques économistes, dans une ombre propice, persistaient à penser que l’Etat était le problème et non la solution. Peu après, à l’université de Chicago, ce fut Milton Friedman membre de la société du Mont Pèlerin, qui acheva d’équiper la boite à outils néo-libérale pour en finir avec le socialisme rampant qu’il voyait à l’œuvre partout où l’Etat jouait un rôle dans l’économie. Que cette peur de l’Etat, une peur pathologique, ait été inspirée par les grands totalitarismes fasciste, nazi et stalinien qui ensanglantèrent la première moitié du vingtième siècle est sans doute la seule circonstance atténuante que l’on peut trouver à Friedman.

Pour le reste, ce prix Nobel d’économie, apôtre de la liberté eut besoin d’un coup d’état, celui de Pinochet, pour pouvoir enfin expérimenter ses idées avec des économistes formés par lui, les fameux Chicago boy’s. Il ne s’agit pas d’un procès d’intention, il existe entre le général Pinochet et Milton Friedman une correspondance des plus éclairantes.

La dernière justification du libéralisme et des libéraux est en général, quand on leur présente l’échec patent de leurs politiques -comme c’est le cas actuellement sur le continent européen qui n’a jamais été aussi riche mais dont les populations sont en voie de paupérisation accélérée-, est qu’au moins, eux, garantissent une idéologie qui respecte les libertés fondamentales.

C’est donc pour le moins paradoxal de s’apercevoir que l’acte de naissance de cette politique est maculé du sang des derniers combattants du palais de la Moneda autour d’Allende qui refusèrent de se rendre et de la répression qui s’ensuivit, faisant des milliers de morts. Trois ans après le Chili, ce fut au tour des militaires  argentins de renverser le gouvernement d’Isabel Peron et d’installer une dictature tout aussi féroce, qualifiée par la justice argentine elle-même de « génocidaire », une dictature qui fut là encore le paravent de cette fameuse « thérapie de choc » chère à Friedman.

Libérer les prix, supprimer le contrôle des changes, imposer la retraite par capitalisation à la place de celle de répartition, en finir avec la dépense publique y compris dans la santé et l’éducation, toute ces mesures de « bon sens » font aujourd’hui, partie de la doxa de tous les économistes télévisuels. Il est peut-être bon de rappeler, en ce 11 septembre, qu’elles ont eu et qu’elle ont besoin, à chaque fois, de la violence pour s’imposer : de Santiago en 73 à Bagdad en 2003 où la  « zone verte » a représenté un modèle de fonctionnement ultra-libéral au milieu d’un chaos sanglant, des Malouines et des mineurs du Yorkshire de Thatcher aux ratonnades paramilitaires d’Aube dorée dans la Grèce de la Troïka, des oligarques eltsiniens bombardant le parlement de Russie à Bush junior privatisant la guerre en Afghanistan…

Pour l’avenir proche, le capitalisme du désastre saura sans aucun doute se nourrir des catastrophes écologiques et climatiques que son mode de développement nous promet de manière de plus en plus évidente chaque jour qui passe.

Après tout, on est jeune à quarante ans.

Quarante ans, et toutes ses dents.

 *Photo: Oscar Ordenes



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