Le nombre définitif de premiers titres de séjour délivrés par le ministère de l’Intérieur à des étrangers venant de pays tiers à l’Espace économique européen (et à la Suisse) en 2018 ne sera connu qu’en janvier 2020. Toutefois, nous regroupons de nombreuses données permettant de faire le premier bilan des flux migratoires sur l’année dernière.
Après l’estimation de janvier, le ministère de l’Intérieur vient de publier le chiffre provisoire de juin qui n’est, habituellement, pas très éloigné du chiffre définitif, tout en lui étant légèrement inférieur. En effet le chiffre du mois de juin est fondé sur les enregistrements, tels qu’ils apparaissent au mois de juin, pour l’année précédente.
L’estimation, en janvier 2017 du nombre de premiers titres de séjour délivrés avait surestimé de près de 15 000 le nombre définitif (262 000 au lieu de 247 436), mais le chiffre provisoire de juin lui était beaucoup plus proche (242 665, soit une sous-estimation de 2 %).
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En 2018, l’estimation de janvier, plus prudente, est très proche du chiffre provisoire de juin (255 956 en juin contre 255 550 en janvier). Si la sous-estimation du nombre de premiers titres définitifs délivrés en 2018 est la même que celle observé l’année d’avant (2 %), le nombre définitif pour 2018 devrait donc être proche de 261 000.
Un flux en forte croissance
La statistique du ministère de l’Intérieur est établie à partir de l’application de gestion de délivrance des titres de séjour à des étrangers soumis à l’obligation d’en détenir un[tooltips content=’Ou un visa de long séjour valant titre de séjour – VLS-TS – (réduisant l’afflux en préfecture) depuis le 1er septembre 2009 pour un grand nombre de catégories d’étranger. Ces VLS-TS sont validés lors du passage à l’OFII par une vignette et un cachet dateur apposés sur le passeport (111 203 en 2018, soit 43 % des 1ers titres délivrés).’]1[/tooltips]. Elle ne mesure pas stricto sensu les entrées, lesquelles ont pu intervenir avant, pas plus qu’elle n’a connaissance des étrangers qui n’ont eu aucun contact en préfecture ou dont le dossier est en cours de traitement. Ces données donnent donc une idée du flux réel plus qu’elle ne le mesure. Mais, la statistique du ministère de l’Intérieur n’est qu’une des sources permettant de se faire une idée de l’immigration étrangère en France.
L’Insee procède à l’estimation des flux d’immigrés à partir des enquêtes annuelles de recensement, dans lesquelles on demande l’année d’entrée en France à ceux qui n’y sont pas nés et, depuis 2012, le lieu de résidence un an auparavant. Ces estimations ont été publiées par l’Insee en janvier[tooltips content=’Pour un commentaire sur cette publication, vous pouvez consulter : http://www.micheletribalat.fr/442288701‘]2[/tooltips]. Mais elles portent sur la France entière pour l’ensemble des immigrés, alors que les données diffusées par le ministère de l’Intérieur concernent la France métropolitaine et seulement les étrangers des pays tiers qui ont obtenu un 1er titre de séjour. Par ailleurs, l’Insee estime les entrées pour l’ensemble des âges et non pour ceux qui ont atteint l’âge légal à partir duquel ils doivent détenir un titre de séjour. Le champ géographique, celui des pays d’origine et le champ des âges est plus étendu à l’Insee. Mais, c’est une estimation qui repose sur les déclarations de ceux qui ont répondu à l’enquête.
Eurostat publie aussi une série (qui démarre en 2008) de données sur la délivrance des titres de séjour, par durée du titre, tirées de l’application informatique du ministère de l’Intérieur. Les données devraient donc, quant au total toutes durées réunies, être les mêmes que celles publiées par le ministère de l’Intérieur. Mais le champ géographique d’Eurostat est celui de la France entière ! Pour Eurostat, le ministère de l’Intérieur se plie au règlement européen 862/2007 de l’UE sur les statistiques des migrations et de la protection internationale qui définit l’immigrant comme celui qui entre pour un séjour d’au moins un an. On aimerait qu’il offre la même facilité dans ses propres publications. Il est en effet étrange qu’il faille aller sur le site d’Eurostat pour trouver des informations indisponibles sur le site du ministère de l’Intérieur qui les fabrique. On reviendra dans un prochain texte sur ce qu’on peut apprendre des données d’Eurostat.
On peut également disposer des estimations réalisées par Xavier Thierry, tous pays d’origine (y compris ceux de l’UE qui ne sont pas obligés, depuis 2004, de détenir un titre de séjour) et tous âges (grâce à une estimations du nombre de mineurs non soumis à l’obligation de détenir un titre de séjour), pour la France métropolitaine de 1994 à 2006.
Si l’on reporte toutes ces données sur un graphique, elles indiquent une très forte tendance à la hausse depuis 24 ans.
Si l’on s’en tient à la statistique produite par le ministère de l’Intérieur (courbe verte), le flux a été à peu près multiplié par deux depuis la fin des années 1990. Cette croissance est sous-estimée car elle ne porte pas sur un champ constant. En 2004, les étrangers de l’espace économique européen n’avaient plus l’obligation de détenir un titre de séjour[tooltips content=’Les étrangers originaires de l’Espace économique européen et de la Suisse non soumis à l’obligation de détenir un titre de séjour peuvent, néanmoins, s’ils le souhaitent, obtenir un titre de séjour communautaire. Les derniers entrants restent soumis, pendant un certain temps, à l’obligation de détenir un titre de séjour s’ils résident plus de trois mois. Les étrangers membres de familles originaires de pays tiers, s’ils sont en âge d’en détenir un, se voient délivrer un titre de séjour communautaire portant la mention « carte membre de la famille d’un citoyen de l’Union/EEE/Suisse). 6 423 titres de ce type ont été délivrés en métropole en 2018, chiffre qui a fortement augmenté (2241 seulement en 2011).’]3[/tooltips]. De même, les élargissements successifs finissent par garantir la libre installation aux nouveaux entrants.
Sur la période commune aux diverses sources, de 2008 à 2017, le flux a augmenté de 34 à 35 %, quelle que soit la source retenue.
Des flux familiaux moins dominants
En 2018, les deux motifs les plus importants sont toujours la famille (90 074, soit 35,2 %) et les études (83082, soit 32,5 %), les motifs économiques et humanitaires ne représentant chacun guère plus de 13 %. Mais, en dix ans, la part de la migration familiale a perdu 10 points, au profit des autres motifs, notamment les études, l’économique et l’humanitaire (graphique ci-dessous), non pas tant parce que moins de membres de familles sont entrés qu’en raison de l’augmentation des flux pour d’autres motifs.
Le nombre de titres de séjour pour réfugiés, et surtout pour protection subsidiaire ou asile territorial, a beaucoup augmenté (respectivement 18 408 et 10781 en 2018, données provisoires). Avant la crise de l’asile de 2015, en 2014, seulement 2364 protections subsidiaires avaient été accordées.
Un certain rééquilibrage régional
D’ailleurs, c’est la politique de l’asile qui a amené à une certaine redistribution des flux entre l’Ile-de-France et les autres régions, comme le montre l’évolution 2010-2017 (tableau ci-dessous).
L’Ile-de-France, qui recevait 42,9 % du flux en 2010, n’en reçoit plus que 38,9 % en 2017. Sur le seul flux humanitaire, l’Ile-de-France a perdu 20 points de pourcentage, « au profit » des autres régions, PACA exceptée. Mais l’Ile-de-France reste, devant PACA et Auvergne-Rhône-Alpes, la région qui reçoit toujours le plus d’immigrants, relativement à sa population (7,95 ‰) et les Pays de la Loire le moins (1,90 ‰) juste après la Corse.
Les « trous » de la statistique du ministère de l’Intérieur
Il faut garder en mémoire que la statistique publiée par le ministère de l’Intérieur porte exclusivement sur ceux qui sont tenus de détenir un titre de séjour et en ont obtenu un dans l’année, pour la première fois. Ce qui implique un certain écrémage sur les demandeurs d’asile. Il n’est pas possible, comme certains le pratiquent, d’ajouter ceux qui ont été déboutés dans l’année et dont on pense, avec raison pour nombre d’entre eux, qu’ils vont rester en France et finiront par être régularisés à un titre ou à un autre, parce qu’ils peuvent être comptés dans une année postérieure. Ainsi, d’après un suivi des demandes d’asile par Hippolyte d’Albis et Ekrame Boubtane pour l’Ined, 58 % des demandeurs enregistrés en 2000 ont obtenu, d’ici 2012, un titre de séjour, pour moins d’un tiers d’entre eux au titre de l’asile, pour 52 % pour raison familiale, pour 8 % pour raison économique et 7 % pour motif humanitaire autre que le statut de réfugié ou la protection subsidiaire[tooltips content=’https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/27442/pop.soc_552.migration.asile.fr.pdf‘]4[/tooltips].
Depuis la loi du 29 juillet 2015 dirigeant l’essentiel des demandes d’asile vers un guichet unique en préfecture (y échappent notamment les demandes formulées aux frontières ou en centre de rétention), a été mis en place un système d’information appelé SI asile qui permet d’établir des statistiques sur les demandeurs, dont les primo-demandeurs, et les mineurs qui les accompagnent, que la demande soit traitée par l’OFPRA (cas très majoritaire) ou qu’elle le soit en préfecture. Ceux qu’on appelle les Dublinés, c’est-à-dire les étrangers demandant l’asile en France après être entrés par un autre État de l’UE ou après avoir déjà déposé une demande dans l’un de ces États, voient leur demande traitée en préfecture. Mais il arrive que l’OFPRA examine le cas d’étrangers qui auraient dû être réadmis par un État membre. La procédure de réadmission est alors éteinte et le cas de l’étranger traité selon les procédures habituelles. Cela arrive pour des 1ères demandes de l’année en cours, mais aussi pour des procédures Dublin en attente enregistrées antérieurement. Ainsi, en 2018, sur les 40 190 procédures Dublin requalifiées, 8 810 ont été traitées par l’OFPRA et 31 380 l’ont été par le ministère de l’Intérieur. Mais 14 790 requalifications en 2018 et traitées par l’OFPRA portaient sur des demandes antérieures à 2018. Ces dernières ont donc été déjà enregistrées dans les années antérieures.
La France devrait pouvoir, à terme, se conformer au règlement 862/2007 de l’UE sur les statistiques des migrations et de la protection internationale réunies par Eurostat.
Au total, entre l’OFPRA et le ministère de l’Intérieur, c’est près de 146 000 demandes, mineurs compris, qui ont été traitées comme des 1ères demandes, dont près de 17 000 correspondent à l’extinction de procédures Dublin des années antérieures. Pour ce qui est des 1ères demandes d’asile déposées en 2018 et traitées par l’OFPRA, elles ont concerné près de 94 000 personnes, quand le ministère de l’Intérieur a examiné le cas d’un peu plus de 35 000 Dublinés (tableau ci-dessous).
Si l’on met de côté la question des mineurs non accompagnés qui n’entrent dans l’application informatique du ministère de l’Intérieur que lorsqu’on leur délivre un titre de séjour, le ministère de l’Intérieur pourrait très bien étendre sa compilation statistique en amont. En effet, il peut donner des informations sur ceux qui se sont présentés en préfecture pour obtenir un titre de séjour et a la possibilité d’étudier ce qu’il advient de ces demandes au fil du temps par année de 1ère demande de titre, comme l’Ined l’a fait à propos des demandes d’asile.
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