L’éditorial de novembre d’Elisabeth Lévy
Trouvez-moi des idées pour emmerder les Français ! On se demande parfois si Emmanuel Macron n’a pas donné à ses ministres cette consigne répliquant, à cinquante ans de distance, à la célèbre apostrophe de Georges Pompidou [1]. Rappelons, entre autres, le funeste autoflicage à base d’attestations rédigées dans un infâme idiome administratif ou la taxe carbone qui a jeté sur les ronds-points la France des lotissements.
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Je ne sais plus quelle maire voulait que les enfants arrêtent de rêver d’avion. Sur l’échelle de la connerie écolo-casse-bonbon, Emmanuelle Wargon la surpasse haut la main avec une déclaration qui est un bijou de raison technocratique : « L’idéal plébiscité par 75 % des Français, c’est la maison individuelle. Mais le modèle d’urbanisation pavillonnaire constitue aujourd’hui un non-sens écologique, économique et social. Il mène à une impasse. » Pour résumer, les Français aiment leur maison, comme ils aiment leur bagnole, mais c’est mauvais pour eux. Ils sont donc priés de s’en passer. Avec leurs attaques contre le sapin de Noël, déclassé de symbole de joie en vulgaire « arbre mort », ou le Tour de France, décrété « machiste, polluant » et horresco referens, « ringard », les Verts sont petit bras.
Passons sur le fait que la ministre réside dans une maison sise dans la coquette ville de Saint-Mandé et que ses collègues ministres totalisent quelques milliers de mètres carrés de datchas situées dans d’agréables villégiatures – ne soyons pas bassement populistes. On notera en revanche son curieux sens de l’à-propos. D’une part, l’épidémie et ses confinements ont réveillé chez pas mal de citadins l’envie du poulailler, provoquant une flambée du prix des maisons. D’autre part, alors que la hausse du prix de l’essence fait sérieusement grogner les campagnes et que les commentateurs spéculent sur un réveil des Gilets jaunes, la sortie de Wargon a tout de l’allumette jetée sur le baril des fureurs françaises. Aussi ne cesse-t-elle, depuis, de demander pardon à genoux.
Significativement, elle a fait cette déclaration au cours d’un raout intitulé « Habiter la France de demain », aveu que, pour que cette France de demain soit habitable, il faut se débarrasser des Français d’avant et de leurs rêves de ploucs. Les princes qui nous gouvernent en ont décidément assez de ces empêcheurs de moderner en rond qui fument des clopes, roulent au diésel, mangent de la barbaque et vont à la chasse. Sans oublier qu’ils reluquent volontiers les seins de la boulangère. Combien de temps ces résidus de l’histoire vont-ils entraver la glorieuse marche du progrès concocté par nos élites multi-diplômées ?
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Il y a indubitablement des tas de raisons raisonnables pour justifier la pavillonophobie ministérielle. Sauf que la vie des « gens ordinaires », comme dit Orwell, ne se réduit pas en équations. Le bonheur n’obéit pas spontanément aux exigences de la postmodernité.
La plupart des Français n’ayant pas les moyens de se payer une maison à Saint-Mandé ou une résidence secondaire dans le Luberon, ils raclent leurs fonds de tiroir pour acquérir leur Sam’Suffit dans un de ces lotissements plantés au milieu de nulle part tenus, quand on est bien né, pour le summum de la vulgarité esthétique. On ne niera pas que cet urbanisme anarchique enlaidit les paysages et oblige nombre de Français à parcourir chaque jour des dizaines de kilomètres en voiture. Ce n’est pas qu’ils n’aiment pas les belles choses, c’est qu’ils n’ont pas les moyens. Avec ses immenses zones commerciales aux noms bucoliques et ses zones pavillonnaires sans passé, la France de Houellebecq résulte en partie d’un processus de ségrégation socio-économique. Aux nantis et à ceux qui les servent, les métropoles et leur banlieue, aux classes moyennes paupérisées la périphérie. C’est peut-être à cette fracture que devrait s’atteler la ministre du Logement si elle voulait servir à quelque chose.
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Cependant, si une grande partie des classes populaires de souche ont fui les banlieues, ce n’est pas seulement pour des raisons économiques, mais parce qu’elles ne s’y sentaient plus chez elles. Et au-delà de ce séparatisme culturel, la préférence pour le logement individuel symbolise peut-être le devenir du vivre-ensemble. Avoir un toit à soi, c’est ne plus avoir de voisins, quels qu’ils soient. Et c’est aussi posséder quelque chose que l’État ne vous piquera pas.
Ce rêve pavillonnaire est, pour une certaine France, le moyen de dire merde à une collectivité qui l’a laissée tomber. Certes, le contrat social suppose que les intérêts individuels cèdent devant l’intérêt général. Mais l’intérêt général ne peut pas se résumer à la somme des emmerdements individuels. Surtout quand ce sont toujours les mêmes qui trinquent.
[1] « Arrêtez d’emmerder les Français ! » lança-t-il, un soir de 1966, à un collaborateur nommé Jacques Chirac qui lui présentait une pile de décrets à signer.