Je te fais une lettre car tout de même, c’est toi le patron. Il vaut mieux s’adresser au bon Dieu qu’à ses saints, c’est-à-dire à toi qui présides la Commission Européenne plutôt qu’à François Hollande qui ne préside que la France. Enfin il paraît…
Si je t’écris donc, c’est parce que ces jours-ci, on va voter le budget 2014 pour notre pays. Mais en même temps, qu’on soit d’accord ou pas avec ce budget, ce n’est pas très grave parce que je viens d’apprendre que c’est toi qui décides, en fait, puisque c’est à toi, dans tes bureaux de Bruxelles, qu’on va le présenter d’abord, notre budget, avant de le faire passer devant nos parlementaires. Ce coup-ci, on était content, tu l’as trouvé pas mal, le budget. Tu as dit que bon, la France n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre mais qu’il suffisait de supprimer encore des fonctionnaires et puis d’augmenter l’âge de départ à la retraite, de dérembourser de la sécu et que ça irait mieux. Comme chez les Grecs, quoi…
Enfin que ça irait mieux dans ta perspective à toi, c’est-à -ire dans une vision du monde totalement libérale qui commence à être contestée par tes propres économistes qui s’aperçoivent que l’austérité, c’est la médecine de Molière et que tu vas finir par nous faire mourir guéris.
C’est fou, tout de même, ça, José Manuel, c’est toi qui imposes la politique économique et sociale de la France et personne ne te connaît, ou presque. Tu n’es même pas élu, dis donc, ni toi, ni les commissaires européens sous tes ordres. On les connaît encore moins que toi, c’est dire… Ceux qui s’intéressent un peu à toi savent que tu es portugais. Mais vu les plans d’austérité que le Portugal subit depuis des années, toi, tu ne dois plus trop le savoir, que tu es portugais. Ce qui est encore plus drôle, José Manuel, c’est que lorsque tu étais jeune, tu étais maoïste et que tu as participé à la révolution des Œillets en 74. Tu me diras, tu n’es pas le premier gauchiste à devenir ultralibéral : Cohn-Bendit, Kessler au Medef, Kouchner, j’en passe et des pires.
Bon, alors si je te fais une lettre, c’est parce que comme c’est toi qui diriges la France, j’aimerais bien te la faire visiter que tu voies un peu le pays que tu diriges et que tu as rendu si agréable à vivre par ta politique de concurrence libre et non faussée.
On pourrait commencer par voir une usine, José Manuel ? Qu’est-ce que tu en dis ? En même temps, vu les plans sociaux en ce moment, trouver une usine ouverte, ça va être difficile mais on fera un effort. Je ne dirai pas qui tu es aux ouvriers, c’est peut-être un peu risqué.
Après, on pourrait aller faire un tour dans une université. Tu vas voir, c’est pas terrible, on y consacre 12 milliards, on ne peut pas faire plus, mais comme tu nous dis qu’on doit être compétitif, toujours plus compétitif, on vient de donner 20 milliards sans contrepartie de crédit d’impôts aux entreprises.
Bon, mais il vaut mieux des étudiants pauvres que des patrons malheureux.
Sinon, José-Manuel, on pourra prendre le train. Il paraît que tu regrettes que les gares soient encore la propriété de la SNCF et pareil pour EDF et GDF qui sont encore propriétaires de leurs réseaux d’énergie. On essaiera de faire mieux l’année prochaine, José Manuel, promis. On privatisera tout ce que tu veux. Tu peux compter sur Hollande, Moscovici, Cazeneuve, c’est des gars sérieux qui pensent comme toi. Que l’Etat, c’est le problème, pas la solution.
Sinon, tu sais, grâce à toi, José Manuel, l’ambiance en France est devenue super ! Le Front national va sans doute être le premier parti aux élections européennes, des dingues ouvrent le feu dans les locaux des télés ou des journaux et on lance des bananes à des ministres noires. Il y a même des types en bonnets rouges qui manifestent pour défendre ton modèle économique en croyant défendre leur région.
Vraiment, José Manuel, je ne sais pas comment te remercier.
Enfin si, j’ai bien une idée, mais ça ne serait pas très démocratique. En même temps, toi qui n’est même pas élu, la démocratie, hein…
*Photo : Virginia Mayo/AP/SIPA. AP21483111_000004.
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