Cher Christophe Conte,
Je voulais te dire combien ta prestation télévisée de samedi avant-dernier chez Ruquier m’a réjoui. D’abord parce que la présence du citoyen lambda au milieu d’un aréopage de célébrités de la politique, du show-biz, du sport et du fric, c’est un peu la revanche des individus insignifiants comme toi et moi. Car tous ces gens plus beaux, plus grands, plus minces et plus friqués que nous, se pavanant sur les plateaux de télé et dans les journaux people, le vulgum pecus a besoin, de temps en temps, de les voir se viander. Toi, avec ta bonne bouille de français moyen, tu es venu les basher sans complexes afin de leur rappeler qu’ils sont de la même humanité que nous les petits, les obscurs, les sans-grades.
Christophe Conte vs Caron & Polony [T V] Ruquier par warrant
Tu étais fringant, l’autre soir, dans l’uniforme de croque-mort hype – le tee-shirt sous la veste noire – qui te distingue du détaillant en boucherie-charcuterie qui ne lit pas les Inrocks. Et tu ne t’es pas laissé intimider par cette cohorte de quasi-fonctionnaires des talk-shows que la plèbe risque peu de croiser sur la ligne 2 du métro parisien. Chacun en a pris pour son grade. Enfin presque.
En guise d’apéritif, tu t’es payé la cathodique Frigide Barjot en la qualifiant de « parasite mondain ». J’entends déjà ses thuriféraires te rétorquer que c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité, arguant des quelques décennies d’intervention culturelle du groupe Jalons comparées à ton curriculum vitæ qui respire une modestie toute franciscaine. Mais nous savons, toi et moi, que papisme rime avec obscurantisme. Tout est permis aux affamés et assoiffés de la justice dont tu es. Car, depuis un bon siècle, le vent a tourné niveau religion : le blasphème est dorénavant un métier comme un autre. Insulter un prélat avec tes calembours orientés – rarement au dessus de la ceinture, rock and roll oblige – ne te fait encourir, tout au plus, qu’une excommunication ferendæ sententiæ, l’épiscopat français ayant tendance à snober la 17ème chambre correctionnelle.
Le plat de résistance fut le moment où tu vins faire l’article pour ton livre, objet de ta présence dans ce parterre de nantis. Toi l’incorruptible, l’idéaliste pour qui le changement c’est maintenant, tu es l’ennemi juré de tous ceux qui, à droite comme à gauche mais surtout à droite, ne pensent pas comme il faut. Natacha Polony ne partage pas tous tes dégoûts ? C’est sûrement dû à son côté « réactionnaire » comme tu l’as si bien souligné. J’imagine que tu as un dossier sur elle dans tes tiroirs, pas loin de ceux, plus volumineux, sur Zemmour, Finkielkraut ou Ménard. Une de ces chemises cartonnées dans lesquelles tu colliges méticuleusement les petits bouts de phrases susceptibles d’être estampillés « dérapages » qui te serviront de pièces à conviction. Le traqueur de propos nauséabonds veille : à chaque incartade verbale qui fait buzz, tu colles illico presto une contravention qui sera publiée en page 3 des Inrocks. À la fois flic, procureur et juge du politiquement correct, tu offres à la vindicte branchouille dudit magazine son lot hebdomadaire de fachos, de beaufs et de margoulins. J’en entends déjà te comparer à Fouquier-Tinville : ils oublient que ce dernier maniait la coprolalie avec beaucoup moins de talent que toi.
En revanche, tu es méchant, certes, mais pas bête. On a bien compris qu’il était inutile de craindre quelque « billet dur » à l’encontre de ta nouvelle directrice éditoriale qui, d’ailleurs, aime beaucoup ce que tu fais. Ta méchanceté n’a rien de gratuit : c’est ton job. Aussi, continue à médire avec discernement : tu ne vas quand même pas flinguer une carrière prometteuse au nom de la probité intellectuelle, hein ?
Je t’embrasse. (Ajouter une contrepèterie.)
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