Accueil Culture A Toulouse, l’autre « Chemin de croix » de l’Église

A Toulouse, l’autre « Chemin de croix » de l’Église

La basilique de Toulouse abrite un chemin de croix poétique qui implique le visiteur


A Toulouse, l’autre « Chemin de croix » de l’Église
"Chemin de croix" de François-Xavier Boissoudy ©Luc Pâris

Alors que l’Église n’en finit pas de remuer ses boues, le Carême commence, temps de purification. Un Chemin de croix illustré de façon lumineuse et poétique par François-Xavier de Boissoudy et Jean-Pierre Denis dans la basilique Saint-Sernin de Toulouse.


Le chemin de croix est une forme balisée de la piété, en quatorze étapes standardisées, de la condamnation du Christ à sa mise au tombeau. Certaines étapes (appelées « stations ») sont attestées par les Évangiles, comme Simon de Cyrène réquisitionné pour aider le Christ à porter sa croix, d’autres ont été imaginées par la piété : Jésus croise sa mère. Jean-Paul II, dans une approche scientifique qui rappelle les réflexions de la Contre-Réforme, avait supprimé ces stations à la légitimité purement traditionnelle et constitué une autre séquence : Jésus ne chutait plus une, deux et trois fois, par exemple – mais le reniement de saint Pierre, moment si vrai et qui parle au cœur de tout chrétien, précédait la condamnation prononcée par Pilate.

Le peintre François-Xavier de Boissoudy et Jean-Pierre Denis, rédacteur en chef de La Vie, ont adopté le canon traditionnel, celui qu’on peut voir dans la plupart des églises, sous forme de tableaux, d’émaux ou de simples croix numérotées, le chemin de croix qu’on longe quand on fait le tour d’une église, celui qu’on ne voit plus, quoi. Ils lui redonnent une présence singulière, à la basilique Saint-Sernin, à Toulouse. Les tableaux, des huiles aux tons de terre, diluées et étalées à la main, sont à la dimension des piliers, hauts et larges, et lumineux. Quant aux poèmes qui glosent chaque station, ils inscrivent l’événement dans notre temps et nos géographies :

Moteur l’action se déroule
À Saint-Étienne du Rouvray
À Qaraqosh Bangui Sébaste
À Nagasaki et l’an prochain

Devant tes murailles Jérusalem
Au conseil de surveillance
Dans un État particulièrement
Narco de la république du Mexique

Et sur les marches du Capitole
À Washington sous le consulat
De Dèce et de Gratus
En l’an 250 de l’ère dite chrétienne

Les deux auteurs tiennent à ce que les spectateurs s’emparent activement de leur œuvre pour réfléchir et prier ; après tout, pour un chrétien, si le Christ est crucifié, c’est pour racheter les péchés commis hier, aujourd’hui et demain, par tous les hommes, et tous les chrétiens. C’est nous qui crucifions Jésus. C’est ce que le poète écrit, littéralement, et c’est ce que le peintre montre : fidèle à son parti pris de « photojournalisme », Boissoudy plonge le spectateur dans l’action. Face à la toile, il fait partie de l’espace qui s’ouvre devant le Christ, il l’encadre avec les autres membres de la foule qui lèvent le poing, il est juste de l’autre côté quand Marie voit passer son fils déjà abruti de souffrance au point qu’il ne lève pas le regard vers elle. Le peintre engage le corps du spectateur comme le poète engage son temps : ce chemin de croix est actuel et physique. Quand le Christ tombe, il s’écrase, sans grâce. Quand il se relève, il regarde le visiteur dans les yeux – et le texte supplie : Et moi doux Jésus ne m’oublie pas / Ne me laisse pas tomber seul.

Les tableaux, monochromes enchainent ainsi des stations dynamiques qui sont comme autant d’instantanés, le peintre jetant sur sa toile ce qu’il voit en accompagnant le Christ (comme cette onzième station, où Jésus est cloué sur la croix, peint en plongée, le peintre surplombant son modèle couché au sol, la tête hurlante au premier plan Mais Jésus est moche / Qui serait beau à ce moment-là ?).

Chaque tableau est une machine absorbante, chaque poème une inspiration actualisante. On ne visite pas une exposition, on chemine, et ce chemin de croix nous emporte à Jérusalem et au Vatican, en Arabie saoudite et à Lyon, chez Google et Boko Haram. Ce sont toutes les boues de l’Église et du monde que les auteurs ont remuées et transmutées. Ce Chemin de croix concentre explicitement les critiques, les reproches, les jugements, les réponses, et surtout la seule leçon que l’Église peut donner, dépouillée de sa superbe, tombée de son haut : regarder la Victime, cheminer à ses côtés.

Un Chemin de croix. Peintures de François-Xavier de Boissoudy, poèmes de Jean-Pierre Denis. Édité aux Éditions de Corlevour et exposé à la basilique Saint-Sernin, à Toulouse, jusqu’à la fête de Pâques, le 21 avril 2019.

Un chemin de croix

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