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Les chasseurs du Sud-ouest mettent crosse en l’air

Battues aux sangliers boudées par les chasseurs: le Conseil d'État place le ministère de l'Environnement dans une mauvaise posture


Les chasseurs du Sud-ouest mettent crosse en l’air
La prolifération des sangliers pourrait devenir encore plus inquiétante. Image d'illustration.

La décision du Conseil d’Etat du 6 mai entérinant l’interdiction par la Commission Européenne des « chasses traditionnelles » constitue d’une certaine façon une aubaine pour les hardes de sangliers des Landes et des Pyrénées-Atlantiques, mais, en revanche, pour les élevages bovins, une grave menace. Les premiers pourront proliférer sans entrave et les seconds courent, au contraire, un sérieux risque de contracter la tuberculose…


En réaction à ce jugement qui, comme l’a expliqué à Causeur Jean-Luc Dufau, président de la Fédération de chasse des Landes, porte « atteinte à nos traditions et à notre culture régionales », les chasseurs de ces deux départements du sud-ouest, ont décidé de mettre sine die, depuis le 1er juin, crosse en l’air.

C’est-à-dire qu’ils n’assureront plus les « deux services publics » que les pouvoirs publics leur délèguent et qu’ils effectuent bénévolement, à savoir organiser, à la requête de ces derniers, des battues visant à endiguer la prolifération des sangliers, surtout depuis le Covid, au point de devenir une espèce invasive des périphéries urbaines, et maintenir une veille sanitaire de la faune sauvage, en procédant à des prélèvements systématiques de blaireaux, principaux transmetteurs de la tuberculose aux vaches et veaux en pâturage et stabulation libres. Bien que peu répandue, quatre départements aquitains (Gironde, Landes, Lot-et-Garonne, et Pyrénées-Atlantiques) sont les plus affectés en France par cette maladie infectieuse transmissible à l’homme. En outre, grande éleveuse de poulets et canards, cette région est aussi confrontée périodiquement à des épidémies de fièvre aviaire. Une éventuelle conjonction des deux affections aurait de lourdes conséquences sur son économie, essentiellement agricole.

Une grogne qui monte

Si d’ici le 11 juin, le gouvernement persiste à faire le mort, les fédérations de chasse de ces départements ont convenu de se retrouver pour amplifier leur protestation. Les chasseurs estiment avoir été « mollement défendus » par leur ministère de tutelle, celui de l’Environnement et de la Transition écologique, seul, aberration juridique, habilité à les représenter alors qu’il est en quelque sorte juge et partie. Pour que l’avocat des chasseurs eût pu plaider, il aurait fallu que le ministère l’acceptât. Il a refusé.

D’après Jean-Luc Dufau, le ministère ne penche pas de leur côté mais plutôt de celui des deux associations de défense des animaux, qui ont saisi le Conseil d’Etat et obtenu l’abrogation des deux arrêtés de 2022 qui suspendaient l’application de la directive européenne. Il s’agit de One Voice fondée en 1995 sous l’égide de l’ancien très célèbre biologiste, Théodore Monod, qui s’est donné pour mission « de lutter contre toutes les formes de cruauté envers le vivant », et de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) du médiatique Allain Bougrain-Dubourg, qui depuis des lustres mènent des opérations commando de bobos citadins contre ce type de chasse.

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Pour la Fédération nationale de la chasse (FNC), la directive relève du fait du prince. Elle se fonde sur une méconnaissance de la réalité et bafoue la législation nationale en vigueur. Elle estime que la Commission outrepasse ses prérogatives et que de son côté, le Conseil d’Etat, allant, le comble, à l’encontre d’un arrêt de la Cour de justice européenne (CJE) qui les autorisait, entérine un abus de pouvoir.

D’après la LPO, la population des alouettes des champs, le gibier des « chasses traditionnelles », a diminué depuis 1980 de moitié en France. A combien s’élève cette population ? Comment a-t-elle établi cette estimation ? On l’ignore mais il semble bien que ce soit « au pif et doigt mouillé ». De son côté, dans une étude publiée en mai 2023, le CNRS estime qu’en 40 ans le nombre d’oiseaux a décru de 25% sur le continent européen, et de 60% dans les zones agricoles. La chasse, au fusil ou au piégeage, n’en est pas et de loin la cause. Pour le CNRS, c’est « l’intensification de l’agriculture qui est à l’origine de la disparition des oiseaux » en réduisant les possibilités de nidification. Dans une question écrite du 31 août 2023 adressée au ministère de l’Environnement, la sénatrice de Gironde, Florence Lassarade (Les Républicains) faisait remarquer que les prélèvements des « chasses traditionnelles » ne représentent que 1% de la mortalité des alouettes.

Techniques archaïques

En quoi donc consistent ces « chasses traditionnelles » désormais bannies ? Elles se résument à deux archaïques techniques : une dite « aux pantes », l’autre « aux matoles ». « Aux pantes », c’est un filet qu’on tend à l’horizontale dans lequel vient se prendre l’alouette qu’on a attirée avec un leurre dénommé « appelant », une autre alouette retenue par une cordelette liée à une de ses pattes. « Aux matoles », c’est une petite cage métallique suspendue qui s’abat sur le volatile venu picorer l’appât qu’on a disposé à cette fin. « C’est un art qui requiert de la patience, explique Jean-Luc Dufau. Les prises sont parcimonieuses. L’oiseau n’est ni tué, ni blessé. »

Pour la saison 2023-24, les deux arrêtés abrogés fixaient un quota de captures à 105 500 alouettes pour les quatre départements ci-dessus cités où seulement ce type de chasse est pratiqué. « Des chiffres qu’en réalité on n’atteint pas », souligne Jean-Luc Dufau. En tout, en France, les chasseurs tuent en moyenne en une saison 1 200 000 oiseaux de diverses espèces. Ainsi, les « chasses traditionnelles » représentent moins de 10% de ces prélèvements. En raison de la procédure judiciaire, aucune « chasse traditionnelle » n’a été pratiquée depuis trois ans. On n’a pas constaté une prolifération d’alouettes.

« Le jugement de la Cour de cassation est absurde, insiste Jean-Luc Dufau. Car il interdit les chasses traditionnelles mais autorise la chasse au fusil et n’y impose aucune restriction. Si la folie nous prenait, on pourrait en abattre autant qu’on voudrait, on se livrait à un massacre. » Or, concernant la chasse « aux matoles », à laquelle s’adonne moins d’un millier d’individus, et ne se pratique que dans deux départements, Landes et Lot-et-Garonne, le quota était fixé pour le premier à 4928 unités et pour le second à 2870. Pas de quoi dépeupler le ciel aquitain…

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Ce qui est sûr, c’est que la Cour de cassation a mis le gouvernement dans un fichu pétrin qui pourrait, sans avoir bien entendu la même ampleur, déboucher sur une crise type gilets jaunes ou agricole. Dans ce recoin de l’Hexagone d’où, convient-il de le rappeler, la colère paysanne était partie, la majorité des chasseurs sont justement des ruraux. Ce mode ancestral de capture est leur loisir hivernal avec le match de rugby et une bonne bouffe.

On voit mal à quel subterfuge juridique le ministère de l’Environnement peut recourir pour contourner une décision de la plus haute juridiction. Si les chasseurs s’obstinent à ne par participer à des battues et à ne plus assurer la veille sanitaire, les conséquences collatérales risquent d’être lourdes.

Le péril porcin

Evaluer la population de la faune sauvage est un exercice aléatoire donc très approximatif. Cependant le nombre de sangliers est estimé aux alentours de deux millions. En 1980, ils étaient un million. A la fin des années 50, on n’en comptait qu’une ou deux centaines de milliers. Avec le Covid, leur nombre a explosé. Animaux omnivores et, contrairement à l’image qu’on en a, timides et craintifs, surtout le mâle (voir encadré ci-dessous), les sangliers ont profité du confinement qui vida les rues des villes de toute présence humaine pour s’enhardir et s’aventurer de nuit à la périphérie de celles-ci, renversant poubelles, dévastant potagers, labourant les pelouses. Ils y trouvent une nourriture plus abondante qu’en forêt, leur habitat naturel. Il n’est plus rare d’en croiser même en pleine journée en ville, comme ce fut notamment le cas à Mimizan-Plage (40), station balnéaire landaise, en mai. Pendant le Covid, toujours dans cette même ville, on a pu en voir prendre… des bains de mer.

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Durant la saison de chasse 2023-24, il en a été abattu officiellement 842 802, 6% de moins que lors de la précédente. Conséquence : si les chasseurs se refusent à reprendre les battues, la population des suidés, selon leur appellation scientifique, pourrait croître de l’ordre de 40 à 50%.  D’autant qu’une femelle, une laie, met bas dans l’année une portée moyenne de six petits (appelés, eux, marcassins)… et une femelle est fertile dès son dixième mois. Le sanglier est une espèce très prolifique…

Le montant du coût des dégâts qu’on leur impute est estimé à environ 20 millions d’euros. Pour les seules Landes où on en abat 18 000 annuellement, la facture s’élève à 2 millions.

En juillet 2023, la Cour des comptes s’en était alarmée et avait demandé au gouvernement de prendre des mesures d’urgence pour éviter que la situation qu’elle considérait déjà comme grave n’empire. Dès lors, la décision de la Cour de cassation ne paraît pas très opportune, pour le moins.

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Les sangliers et leurs singulieres amours
Aux yeux d’une néo-féministe radicale « de chez radicale », l’organisation de la société des sangliers ne peut que faire figure de société idéale, « la cité de ses rêves ». 
Le mâle y est condamné à mener une vie de solitaire et d’errance, exclu très jeune du groupe, dit la harde, par sa propre génitrice. Ce type d’organisation qui tient le mâle à l’écart est dit matriarchie. Les femelles, appelées laies, sont les uniques détentrices de l’autorité et du pouvoir sur l’espèce. On retrouve un système analogue chez les éléphants.
Les femelles, entre trois ou quatre, accompagnées de leurs progénitures dont le nombre peut varier de six à douze, ce qui forme un groupe d’une vingtaine à une trentaine d’individus, ne vivent qu’entre-elles sous l’autorité d’une dominante. Le mâle, réduit au rôle de géniteur, ne peut s’en approcher qu’à la période du rut, de la mi-novembre à la mi-janvier, et n’y reste qu’une quinzaine de jours, le temps d’avoir la certitude qu’il n’a pas échoué dans sa tâche.
C’est la laie dominante lorsqu’elle entre en chaleur qui invite les mâles à la copulation en éparpillant sa bave et son urine. Attirés par ce stratagème, ces derniers, avant de pouvoir se livrer à une fornication qui dure moins d’un quart d’heure et apparemment sans procurer une grande jouissance, se livrent à de rudes combats entre rivaux pour gagner le droit exclusif de couvrir l’une après l’autre les femelles de la harde. Puis s’éclipse sur la pointe de ses sabots. 
Trois mois, trois semaines, trois jours, soit 115 jours exactement après ces ébats peu érotiques, la laie met bat entre mars et mai, en solitaire, si elle est jeune, une moyenne de six petits, si elle est vielle ça peut aller jusqu’à douze. L’espérance de vie des sangliers, si bien entendu ils ne sont pas abattus, varie de 10 à 15 ans. Ainsi une femelle peut donner naissance dans son existence à au moins une cinquantaine de marcassins.
Les mâles sont expulsés de la harde à l’âge de six mois. Ils sont fertiles dès le 10ème mois. A la différence de leurs frères, les femelles quittent de leur plein gré celle-ci à leur puberté qui a lieu aux alentours des 12 mois. Pour éviter les possibilités d’inceste, les jeunes sont empêchés d’accouplement jusqu’à leur maturité…
D’aspect bourru, hirsute, le mâle est plutôt timide et craintif, plus prompt à prendre la fuite qu’à attaquer. Mère jalouse, possessive, très protectrice de sa ribambelle de marcassins, c’est elle qui est la plus belliqueuse des deux. Si elle sent qu’une menace pèse sur eux, elle fonce.
L’espèce est nocturne et ne commence à chercher sa pitance qu’au crépuscule. C’est ainsi que les habitants des régions à forte population de sangliers découvrent au petit matin leurs potagers dévastés ou leurs pelouses de leur résidence, tondues la veille, labourées.
Par ailleurs, une question se pose : qu’advient-il des 800 000 carcasses abattues en moyenne annuellement (soit en tout près d’un million de tonnes de viande, viscères, os, pelage) ? Bien que très goûteuse, tendre, nourrissante, leur chair est peu consommée (un grand dommage). Alors ce sont des sociétés d’équarrissage qui récupèrent cette masse de matière première pour en faire essentiellement du bio-carburant destiné aux chaufferies collectives et aux cimenteries. Donc, quand il y a du béton, il y a aussi un peu de sanglier • RU



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écrivain et journaliste français.

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