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Sologne: la chasse aux «gros» est ouverte

Séparatisme en milieu rural


Sologne: la chasse aux «gros» est ouverte
Image d'illustration.

Les gros, les riches, naturellement. Ou plutôt les ultra-riches, pour reprendre les termes du bandeau du dernier livre enquête de Jean-Baptiste Forray. 


Les Nouveaux Seigneurs, tel est son titre. Quant au bandeau racoleur comme il se doit – c’est là sa fonction – il dit l’essentiel du contenu : « Comment les ultra-riches ont colonisé la Sologne et dénaturé la chasse »[1]. Rien que cela.

C’est donc en ma qualité de colonisé – puisque Solognot je suis – que je m’autorise ces quelques lignes. Je suis né à Gien (45), la sublime porte d’entrée en Sologne, j’ai grandi et vécu à Veilleins, mégalopole de cent cinquante neuf âmes située entre Romorantin et Chambord. J’y ai même été élu maire-adjoint, conséquence sans doute regrettable d’un moment d’égarement des habitants sus-évoqués. Et puis, j’ai aussi été journaliste de ce pays. Après une parenthèse, je suis revenu vivre à l’année, et pour toujours, dans ce coin-là, qui est de loin celui de France où je me sens le plus chez moi. J’ajoute que, bien que n’étant plus chasseur moi-même depuis fort longtemps, je descends d’une longue lignée de passionnés. Tout cela juste pour dire que je ne me considère pas totalement illégitime à commenter le sujet.

Colonisation

Pour commencer, je ne sens pas peser sur moi, sur mes proches, sur les nombreux Solognots que je fréquente, le poids d’une virulente, d’une étouffante oppression coloniale. Il est vrai que, selon l’auteur qui, un rien condescendant, le suggérait dans une récente interview, nous autres, ici, n’aurions pas encore atteint un niveau de conscience politique qui nous rendrait perceptible la lutte des classes et ses effets. Trop attardés, trop cons, pour tout dire. Sauf que, si je peux me permettre, pour en appeler dans le cas d’espèce à ce concept analytique de lutte des classes, il faut quand même avoir très mal lu le père Marx.

En fait, là où l’inspiration marxisante est à l’œuvre dans cette approche est que le gibier traqué est bien évidemment le riche. L’horrible, le monstrueux riche. Le riche coupable d’un crime inexpiable et entaché d’une tare immonde : avoir l’argent. Il a de l’argent et il s’en sert, le monstre ! C’est ignoble. (À quand, je vous le demande, l’émergence d’une nouvelle « race » de riche, le riche pauvre ! On en rêve. Certains y travaillent actuellement, me rapporte-t-on) Il s’en sert disais-je. Il acquiert des hectares, beaucoup d’hectares. Une rumeur persistante prétend qu’il les paie leur prix et que ce n’est pas en dépêchant des escadrons de mercenaires dans la campagne ni en mettant à flots des canonnières sur la Sauldre ou le Beuvron qu’il s’en rend propriétaire. Colonisation fort tempérée, donc. Mais peut-être n’est-ce là qu’une intox. Le livre-enquête ne dit rien là-dessus. On a tous nos lacunes, il est vrai.

L’engrillagement, un truc de parvenus

Bref, une fois propriétaire de ce vaste domaine, l’ultra-blindé s’empresse de l’engrillager, nous informe l’auteur. Il dit vrai. Or cet engrillagement constitue – en cela il a également raison – une hérésie, une connerie abyssale. Cette pratique est radicalement contraire à la loi naturelle, fondée sur la libre circulation de tout ce qui est gibier. Sans quoi, d’ailleurs, tant conceptuellement que juridiquement l’animal cesse de l’être, gibier, précisément. En effet, pour être qualifiable de gibier, nous enseigne le droit romain, il faut qu’il soit res nullius. Il ne peut avoir aucun propriétaire, aucun maître identifiable. Ainsi, enfermé dans son enclos, l’animal, quel qu’il soit, perd donc cette spécificité fondamentale. Il devient peu ou prou, que cela plaise ou non, une espèce de bête de basse-cour.

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En réalité, cette folie d’engrillagement est bien davantage la marque d’un réflexe bourgeois qu’aristocratique. Bourgeois parvenu, ajouterais-je. Réflexe d’appropriation. Là où le bourgeois dit « je possède, c’est à moi », le noble, l’authentique, dit « j’appartiens à… » Son patronyme même illustre cette inversion du rapport : il s’appelle Monsieur, Madame « de » tel lieu, ou de tel autre lieu, parce qu’il en est. Parce que, au plus profond de lui, il lui appartient. Le caprice d’engrillagement si exagérément possessif lui est, de ce fait, à peu près étranger. 

Si la cible véritable du livre était cette perversion du milieu, on pourrait applaudir. Et sans doute serais-je le premier. Or, je suis bien certain que si on prenait le temps d’exposer à ces propriétaires – et à tous ceux qui moins riches et sur moins d’hectares sévissent pareillement – que lorsqu’ils rameutent à la chasse leurs relations politiques, people, business, médias, ils se rendent coupables de tromperie sur la marchandise, de grossière arnaque en leur faisant croire que ce sur quoi ils vont tirer mérite bien le label gibier, ils se feraient une obligation – ne serait-ce que par orgueil – de corriger le tir, si je puis ainsi m’exprimer.

Mais on a bien compris que, comme toujours dans ce genre de réquisitoire, le cœur de cible est ailleurs que dans la pratique dénoncée. Ce cœur de cible, répétons-le, c’est le riche. Le riche coupable d’être riche.

Un peu d’histoire et de bon sens

L’auteur explique que le dévoiement remonte à Napoléon III qui a mis à la mode la Sologne, la chasse, au sein des bons et beaux milieux de la capitale. De nouveau, il a raison.

C’est alors qu’est apparu ce que, au début du vingtième siècle, avec une saine ironie, un d’Espinay Saint-Luc – lignée noble et ancienne de Sologne – se prit à baptiser, par opposition au chasseur véritable, « le tireur sportif ». Bonne pâte, nous concèderons à l’auteur du livre que les personnes qu’il vise peuvent apparaître comme le prolongement de ce tireur sportif… À ceci près que, à l’instar de leurs prédécesseurs, les propriétaires d’aujourd’hui eux aussi reboisent, eux aussi curent les fossés, eux aussi entretiennent les étangs, les levées, les berges, les bondes, le réseau astucieux et ancestral de canaux les reliant les uns aux autres, permettant ainsi la perpétuation de l’exploitation patrimoniale de cette forme spécifique de pisciculture… Cela ne devrait pas compter pour rien. Les Solognots le savent bien qui, pour ces choses-là, n’en déplaise à l’auteur, cultivent, de préférence à la lutte des classes, cette forme d’intelligence, assez rude il est vrai, qu’on appelle le bon sens.

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Enfin, il faut aller à l’essentiel. La présentation du livre se clôt par cette formule : « Les Nouveaux Seigneurs lève le voile sur le séparatisme des ultra riches sur fond de souffrance animale. » Les mots révèlent très clairement le projet. Ultra riches, colonisé, séparatisme, souffrance animale. Nous avons là le fin du fin en matière de convergence des crimes : l’argent, la colonisation, l’apartheid, la maltraitance animale. Convergence des crimes à inscrire dans la perspective d’une autre convergence, celle des luttes. Et c’est bien là que se niche le travers idéologique de l’entreprise !

Alors, bonne âme, moi le colonisé solognot pas si mécontent de son sort, je vais ici apporter ma (modeste) contribution à la convergence évoquée. Pour autant que je puisse le savoir, ces gens-là sont blancs. Oui, vous m’avez bien lu, ils sont de race blanche. Mâles, au moins pour une bonne part d’entre eux. Il se peut même que chez eux l’hétérosexualité domine (Là, je m’avance)… Bref, que de tares, que de crimes accumulés ! Vite, vite des hectares engrillagés de barbelés pour qu’on les y lâche et les y flingue ! Taïaut ! Taïaut ! Et voilà bien que, soudain, je me prends à regretter qu’un autre empereur que Napoléon III, attaché lui aussi à la Sologne, Bokassa 1er, l’impayable Jean-Bedel Bokassa, qui fut en son temps un de nos fastueux châtelains, ne soit plus de ce monde. Histoire de raciser un peu ce bal des nantis.

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[1] Èditions les Arènes, octobre 2024.



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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Moi, papesse Jeanne », éditions Scriptus Malvas

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