On le tient chef ! Un an après l’assassinat de quatorze personnes à la rédaction de Charlie Hebdo, Riss nous livre le nom – et la trombine – du coupable à la une du numéro anniversaire. « L’assassin court toujours » et cet assassin c’est Dieu soi-même. Voilà qui est bien pratique : si c’est Dieu le coupable, personne ne l’est. Ou tout le monde. Pas de risque de stigmatiser qui que ce soit. Dieu a le dos et l’esprit larges : il peut endosser les crimes passés et à venir de n’importe qui, sans discrimination liée à la religion.
Tout de même, pour accuser Dieu, il faut sacrément croire en lui. On pensait plutôt que les gens de Charlie Hebdo étaient du genre à proclamer que Dieu est mort et à aller déconner sur sa tombe. Et voilà qu’ils nous annoncent que tout est de sa faute parce qu’il a inspiré les tueurs : en somme les Kouachi et autres n‘étaient que les instruments d’une volonté surpuissante. Donc, Il existe, et il n’est pas content !
D’accord, ce Dieu assassin, c’est juste une image. Une image destinée à en éviter une autre. Attention, que Riss ne veuille pas déclencher une salve de manifestations violentes et d’attaques d’églises de par le monde en désignant et surtout en dessinant le véritable inspirateur du crime, en l’occurrence Mahomet, que les tueurs prétendaient venger, on ne saurait le lui reprocher. Quand on sait que les caricatures de ce Mahomet ont l’étrange pouvoir de rendre dingues des foules musulmanes, on comprend qu’il n’ait guère envie d’y retoucher. Les rouleurs de mécanique qui proclament, dans leur salon, que le droit au blasphème est absolu, dénonceront ce renoncement. Les rouleurs de mécanique ne vivent pas entourés par sept policiers.
J’ai de l’amitié pour Riss. Qu’il me pardonne donc de penser que là, il charrie grave – même s’il est sûr que son édito est meilleur que sa une. Qu’il ne veuille pas dessiner Mahomet, c’est son affaire. Qu’il noie le poisson à ce point, c’est aussi la nôtre. Donc, la violence, les morts, les souffrances – sans parler des heures passées à se déchausser dans les aéroports –, c’est la faute à Dieu. Pas un dieu particulier, Dieu en général. Parce que, j’allais oublier, le Dieu de Riss, l’assassin du 7 janvier, est un dieu indéterminé, sans adresse et sans âge, la preuve, il est aussi franc-mac, raison pour laquelle il a une équerre sur la tête. Enfin, indéterminé, c’est ce qu’a voulu montrer Riss, je crois. Moi, je trouve qu’avec sa barbe fleurie, il ressemble au Dieu des Dix commandements de Cecil B. DeMille, qui est aussi celui de la Bible. Je ne voudrais pas blasphémer au faciès, mais ce dieu assassin a plus la tête du dieu des juifs et des chrétiens (genre vieux mâle blanc) que celle d’Allah – il est vrai que personne ne connaît la tête d’Allah, mais il ne ressemble certainement pas à ça.
Dans le genre amalgame, en voilà un de taille. Parce qu’à ce compte-là, on est tous un peu coupable. Le message hyper-finaud caché derrière le dessin, c’est que l’homme est bon et que c’est la religion qui le corrompt. Et toutes les religions ont leurs criminels… Il me semble qu’il y en a une qui en sécrète plus que d’autres à notre époque, mais ce ne serait pas gentil de le rappeler. On dira donc que c’est la faute à de mauvaises idées qui se promènent en liberté on se demande bien comment. Ah si tous les gars du monde, ma bonne dame.
Cette une anniversaire est donc pavée d’excellentes intentions. Il s’agit de ne froisser personne. Le pire, c’est que ces bonnes manières œcuméniques ne semblent avoir eu aucun effet sur ceux à qui elles étaient destinées. Les professionnels de susceptibilité musulmane et autres experts en dénonciation de l’islamophobie n’ont pas jugé bon d’honorer les victimes en gardant leur mécontentement pour eux. Ils entendent faire savoir qu’ils se sentent offensés et même, pour le président du CFCM, « blessé ». Comme l’observe judicieusement Marco Cohen, blessé, c’est mieux que tué. Et toc.
En attendant, je pense à Charb, à Cabu et aux autres. Déjà, ça doit leur faire bizarre d’être ensevelis sous tant d’hommages, avec tous ces « amis » – quelques vrais et pas mal de faux – qui bataillent pour plastronner en leur nom devant les caméras. Et ce n’est pas cette une gentillette et énervante qui va les faire se gondoler. Alors il reste à espérer qu’ils s’amusent avec les soixante-douze vierges. Même si, depuis un an, elles ont dû cesser de l’être.
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