Symptômes.
Il est vraisemblable qu’un jour plus ou moins lointain Causeur n’existera plus et ne sera même plus pensable. Chacun d’entre nous sait qu’il est mortel. Et nous avons tous appris à l’école que les civilisations aussi sont mortelles. Nous avons un peu de peine à le reconnaître, mais nous assistons à l’agonie de nos sociétés. Les symptômes sont si nombreux que nous nous abstiendrons de les énumérer.
Le premier est que nous avons désappris à lire et à écrire. Et que nous avons oublié que le silence et la solitude sont les conditions de la culture. Bref, qu’il vaut mieux avoir pour compagnons Montaigne, Baudelaire, Amiel ou Proust que Laurent Ruquier, des jeux vidéo ou des professionnels de la compassion.
L’agonie d’une civilisation tient aussi au fait qu’elle a perdu ses défenses immunitaires. Elle ne sait plus comment se défendre, ni même pourquoi elle devrait le faire. Elle est devenue totalement nihiliste, mais d’un nihilisme qui est de l’ordre du renoncement parfois, de la bêtise souvent, de la lâcheté toujours. Au fond, personne ne veut croire que nous sommes en guerre. On privilégie le vivre-ensemble, la tolérance, voire une neutralité bienveillante. Certes, les enfants perdus de la République nous bousculent un peu, mais c’est sans doute que nous n’en avons pas fait assez pour eux. Certes, des musulmans légèrement plus agressifs que d’autres violentent ou massacrent. Mais c’est que nous n’avons pas bien formé leurs imams et pas construit suffisamment de mosquées.[access capability= »lire_inedits »]
Là où débute le débat
Se poser la question de savoir pourquoi nous n’avons pas de problème avec les bouddhistes, les shintoïstes ou les hindouistes, alors que nous en avons tant avec les musulmans, serait indélicat. Dire que l’islam n’est pas compatible avec la démocratie serait d’une grossièreté insupportable. Se demander pourquoi les trois millions de jeunes Égyptiens qui affirment leur athéisme se retrouvent dans des prisons ou des camps de rééducation, quand ils ne sont pas obligés de s’exiler, est une question qu’il vaut mieux esquiver. De même que l’éradication des juifs ou des chrétiens dans le Proche-Orient. À la limite, comparer les fous d’Allah aux évangélistes protestants (qui n’ont fait de mal à personne) est acceptable. Le débat s’arrête là. Or, à mon avis, c’est là qu’il débute. L’islam, qui a sans doute aussi de bons côtés – même si je peine à les percevoir et si je préfère les laisser aux Arabes ou aux Indonésiens – exerce aujourd’hui un pouvoir de fascination à peu près équivalent à celui que le nazisme, le stalinisme ou le maoïsme ont exercé en leur temps. Le désir de soumission, la peur de la liberté, le retour à un modèle patriarcal, sans omettre un zeste de culpabilité lié à un passé colonial, lui ont donné des ailes. La manne pétrolière, de sérieuses assises. Et, par un effet de mode, rien n’étant plus contagieux que la mode, un élan inattendu. L’idée, par ailleurs assez géniale, d’un califat lui a permis de disposer d’une stratégie offensive dont je vois mal ce qui pourrait l’arrêter. En outre, la nature ayant horreur du vide – et la France étant entrée dans l’ère du vide – je parierais volontiers sur la victoire de ceux qui croient encore en quelque chose sur ceux qui ne croient plus en rien.
Le lieu le plus rapproché de l’enfer
Il y a plus de cinquante ans, à l’université de Lausanne, presque tous mes amis étaient algériens. Ils avaient fui la France. Aucun d’eux ne lisait le Coran. Ils se battaient pour une Algérie indépendante et socialiste. Aujourd’hui, ils me mettent tous en garde contre l’islam. Et quand je regarde les vidéos d’Aldo Sterone (un immigré algérien qui commente mieux que quiconque l’actualité politique sur YouTube) je me demande : comment en sommes-nous arrivés là ? Éric Zemmour formule quelques hypothèses avec lesquelles je suis souvent en accord. Mais la réponse qui me semble la plus judicieuse est la lassitude. Chacun sent bien que tant sur le plan culturel qu’économique la France est à bout de souffle. Et que les Français, sans oser se l’avouer, attendent les Barbares. Mais même les Barbares seront décevants.
Je suis arrivé à Paris dans les années 1960. C’était sans doute, comme le répétait volontiers Cioran, le lieu le plus rapproché du paradis. Comme personne ne me croit quand je raconte l’ébullition intellectuelle et artistique qui régnait alors, je préfère m’abstenir. Mais c’est sans regret que je quitterai le lieu le plus rapproché de l’enfer, même si, pour un nihiliste frivole, l’enfer présente, lui aussi, un certain attrait. À la condition de disposer d’un climatiseur assez puissant pour ne pas être totalement asphyxié par la débilité ambiante dont je sais gré à François Hollande de l’incarner de façon irréprochable.
Je conclurai en lui disant, moi aussi : « Merci pour ce moment ! »[/access]
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