Pour la première fois de ma carrière de journaliste, j’écris à la première personne. Parisienne, habitant dans le 11ème arrondissement, le quartier de la tragédie mortelle qui a frappé la rédaction de Charlie Hebdo dans la matinée du mercredi 7 janvier, j’aurais pu croiser le chemin des terroristes. L’attaque a eu lieu à deux pas de la Place de la Bastille, symbole de la Révolution française et lieu des grands rassemblements humanistes, mais elle s’est aussi déroulée à un demi-pas de l’agence Pôle emploi de la rue Pelée, qui reçoit chaque jour des dizaines de chômeurs du quartier. Pourquoi parler ici de Pôle Emploi ? Parce que deux balles perdues ont été retrouvées aux abords de leurs locaux et que c’est l’agence dont je dépends depuis que je suis au chômage. Heureusement, je n’y étais pas mercredi matin. En prenant la fuite, les terroristes ont renversé un piéton. Ce n’était pas moi. Mais, cela aurait pu. Après tout, ils ont emprunté l’avenue Parmentier, là où se trouve mon teinturier. J’y étais, mais la veille !
Dans l’après-midi, le drame se rappelle à moi lorsque je reçois un mail de la crèche de mon fils appelant les parents à la plus grande vigilance sur la fermeture des portes de l’établissement compte tenu de « l’alerte attentat » décrétée par le gouvernement. Enfin, dans la soirée, alors que j’assiste à une conférence au Collège des Bernardins situé sur la Rive Gauche, la présence d’un groupe de cent élèves qui devait venir écouter cette conférence a été annulée en raison des interdictions de sorties scolaires en groupe, une autre mesure de sécurité prise par les autorités françaises à la suite de l’attentat. Au retour, sur les quais et dans les longs couloirs du métro, les haut-parleurs diffusent de nombreux appels demandant aux usagers de prévenir les employés de la RATP en cas de paquets suspects, une « chanson » connue pour ceux qui habitent ou ont habité Israël. À 22 heures, le métro ne s’arrête pas à la station de métro Richard Lenoir ; c’est la plus proche du lieu de l’attentat. « Elle est fermée à la demande de la police », précisent les haut-parleurs.
Jeudi 8 janvier au matin, les terroristes n’ayant toujours pas été arrêtés, Philippe, mon mari part travailler en me disant : « tu n’es pas obligée de prendre le métro aujourd’hui » … Une petite phrase qui m’a rappelé certains moments de ma vie en Israël où je suis restée quinze ans comme correspondante de médias français. C’était en 2002, sans doute l’année la plus dure de la Deuxième Intifada, un sentiment étrange m’envahissait parfois consistant à renoncer à faire des courses ou à fixer des rendez-vous à l’extérieur pour éviter d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Finalement, je sortais quand même, faisant confiance au destin. Mais, je ne m’attendais pas à retrouver cette sensation à Paris.
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