Le fanatisme a de nouveau frappé. On s’étonne, on ne comprend pas, on s’indigne. Mais, pour le spectateur attentif, cela était prévisible. Prétendre le contraire serait prêter le flanc à la barbarie en marche. C’est tendre le cou aux couteaux depuis longtemps aiguisés pour la boucherie millénaire. Il ne faut pas se voiler la face en pensant que ce qui s’est passé dans les locaux de Charlie Hebdo est un acte ponctuel ou isolé. Cet acte est, passez-nous l’expression, comme un fruit qui a mûri et qui s’est détaché de sa branche. Attention, dire cela ne signifie pas qu’on cherche des explications pouvant se transformer en justifications de l’opprobre ayant eu lieu mercredi 7 janvier entre 11h15 et 11h 20, au 10 rue Nicolas-Appert à Paris, dans le 11ème arrondissement. Comme quoi, cela n’arrive pas qu’aux autres. Le Norvégien Breivik a ses frères, même si les mobiles, les dogmes, les raisons semblent être différents. Au fond, Breivik ne diffère pas trop de Merah, Nemmouche et des frères Kouachi. Ils ont tous le même engouement pour le sang et ils maquillent cette folie assassine par des fioritures mystico-minoritaires qui n’ont de sens que pour les partisans des « identités meurtrières » (Amin Maalouf).
Cela va de soi, cette tuerie abjecte a été condamnée par tous les États et par toutes les instances internationales. Ainsi, même certains pays « amis », où les droits de l’Homme et la liberté de la presse sont bafoués d’une façon systématique, ont dénoncé ce crime abominable. Les bons sentiments sont au rendez-vous et l’heure est au recueillement. Soit. Mais rien dans tout cela qui puisse résoudre le problème, celui de la terreur rampante, car ce qu’il faut signaler, ce n’est pas tant le crime lui-même que la nécessité de le prévenir, de savoir comment il prend vie, se forme et se transforme en opérations terroristes. On a tout de suite entendu les politiques et certaines figures parapolitiques appeler à ne pas confondre l’islam et l’islamisme, les musulmans et le terrorisme. C’est certes la voix de la sagesse, mais est-ce bien suffisant ? N’est-ce pas enfin le moment opportun pour crever l’abcès et se poser les bonnes questions ? L’hypocrisie est de rigueur en politique, nul n’en doute, mais celle qui, par laxisme ou par calculs machiavéliques, permet l’assassinat, doit impérativement être sanctionnée. Il en va de même pour l’exercice de la pensée, car les voix qui ressassent les mêmes platitudes pétries de bons sentiments doivent également rendre des comptes aux victimes et à nous tous qui sommes aussi bien des victimes potentielles que les ayants-droit de tous ceux qui sont tombés sous les balles de la terreur religieuse.
À ceux qui prétendent que l’islam est innocent, il faut rappeler que l’islamisme, pour les puristes d’hier et de demain, est la voie salutaire par laquelle il se régénérera jusqu’à l’avènement du califat. À ce titre, l’islamisme est incompatible avec la République. Il faut non seulement le crier haut et fort, mais encore l’analyser point par point en vue de le déconstruire. Ce n’est pas être islamophobe que de le déclarer, les demi-mesures et les petits calculs politiques ayant affaibli la République dont le principe fondamental de la laïcité se trouve menacé. Ce qu’il faut souligner en revanche, c’est que la culture arabo-musulmane n’est pas incompatible avec la République. Le spectateur chevronné ne tardera pas à distinguer les deux sphères, parce que les redoutables partisans de l’islamisme sont les pires ennemis de la culture arabo-musulmane dont ils nient la beauté, les ramifications, la complexité et les développements qui ont eu lieu des siècles durant au contact des autres cultures.
Il est temps, disions-nous, de crever l’abcès et de résoudre le problème de l’islam en France. Ce travail doit être mené de concert par l’État et ses instances, ainsi que par les musulmans de France qui doivent une fois pour toutes faire allégeance au pacte républicain. On ne peut pas impunément vivre en Occident et rêver d’un Orient à la fois désert et désertique parce qu’il n’est que le mirage d’un paradis à jamais perdu du fait qu’il n’a jamais existé. Le véritable Âge d’or de l’islam n’a pas eu lieu du temps du Prophète Mahomet. Cet âge d’or n’a pas eu pour cadre la Mecque ou Médine. L’Âge d’or de la civilisation arabo-musulmane a eu lieu sous les Omeyyades en Andalousie et sous les Abbassides à Bagdad. Ces temps-là étaient ceux du brassage, de la découverte, des échanges, de la traduction de la littérature et de la philosophie, de la confrontation du Coran et de la sunna avec les religions antérieures, y compris le zoroastrisme et le polythéisme. Da’ech et ses partisans ne sont quant à eux que le monstre horrible d’un nouveau moyen-âge survenu au XXIe siècle.
On a comparé « l’assassinat de Charlie Hebdo » aux attentats du 11 septembre. C’est légitime, car la France a été frappée dans ce qu’elle a de plus précieux : la culture. N’en déplaise aux adeptes de la théorie du complot qui aujourd’hui encore doutent de la véracité des attentats du 11 septembre, il faut toutefois que la France tire les leçons du 7 janvier 2015. Avoir peur, non, jamais. Sombrer dans la xénophobie, l’islamophobie ou l’arabophobie, non, encore moins. La France doit impérativement tirer les leçons de cette tuerie. L’équilibre entre la sécurité menacée et la justice étant certes fragile, mais il faut que la culture française, celle de Montaigne, de Descartes, de Voltaire, de Sartre et de Camus, pour ne citer que ceux-là, soit au rendez-vous. Il est temps que la quête de la sagesse, l’esprit critique, la lutte contre l’intolérance et le fanatisme par le savoir et le rire, l’engagement des écrivains, l’universalisme et tant d’autres valeurs soient invoqués pour que plus que jamais les mots liberté, égalité, fraternité, auxquels il faut ajouter laïcité, volent au secours de la République.
*Photo : AUFFRET LILIAN/SIPA. 00701224_000001.
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