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Charlie et la chocotterie

10 ans après, qui est encore Charlie ?


Charlie et la chocotterie
Manifestation du 11 janvier 2015 à Paris, en hommage aux victimes des attaques contre Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher © AP Photo/Peter Dejong/Sipa

En 2015, la France criait « Je suis Charlie ». Dix ans plus tard, de peur d’être taxé d’extrême droite par le camp du Bien ou poignardé par un djihadiste, nul n’ose voir et encore moins dire que la version frériste de l’islam s’impose plus ou moins à bas bruit. Soumise aux Insoumis, la gauche ne combat pas la censure, elle l’encourage.


J’ai eu de la chance. Si j’avais commenté en direct l’attaque survenue à Magdebourg dans la soirée du 20 décembre, j’aurais dénoncé à grands cris un nouvel attentat islamiste. Un individu originaire du Golfe qui fonce, au volant d’un véhicule, dans une foule joyeuse célébrant une tradition chrétienne, faisant au moins cinq morts et des dizaines de blessés, le crime était signé. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation. Nous avons déjà vu le film : à Nice, le 14 juillet 2016. Depuis les attentats à la bombe de Madrid, qui ont fait 192 morts en mars 2004, ce sont les islamistes qui sèment la terreur en Europe et pas l’« extrême droite » comme pourrait le croire un malheureux condamné à n’écouter que France Inter et à ne lire que Le Monde.

Sauf que Magdebourg ressemble à l’exception qui confirme la règle, même si le curieux pedigree de l’assassin incite à la prudence. D’origine saoudienne, réfugié depuis près de vingt ans, entré en guerre contre l’islam – en 2016, le docteur A. (la presse allemande ne donne pas son nom) venait en aide aux femmes ayant fui l’Arabie saoudite –, il était paraît-il mécontent de l’islamisation de l’Allemagne. Un apostat qui combat l’islamisation en fonçant dans un marché de Noël, c’est tordu, en tout cas un brin psychiatrique, d’ailleurs Taleb A., ça ne s’invente pas, était psychiatre. Personne n’a parlé de déséquilibré.

Mais aujourd’hui, nous sommes réunis, comme tout le pays, pour célébrer la saint-Charlie avec les grandes orgues émotionnelles et les rodomontades martiales de circonstances – Nous n’accepterons jamais, nous ne céderons pas… ou « N’ayons plus peur ! » comme nous le proclamons crânement en « une ». Il y aura (il y a au moment où vous lisez ce numéro) du flonflon républicain, du refus de la barbarie, de la France forte quand elle est unie, du vivre-ensemble, du vous n’aurez pas ma haine, tous les exorcismes rituels que l’on ressort pour les grands anniversaires. Dans ces conditions, pourquoi ressasser un événement dramatique certes, mais presque banal, et qui n’a même pas eu lieu chez nous ? Et quel rapport avec notre bande de rigolos assassinés pour des petits dessins ?

Le rapport, c’est que, pour le camp du Bien, l’attentat de Magdebourg est un joker idéologique, la reconduction d’un droit au déni dont il use et abuse. Il lui permet de revendiquer haut et fort sa cécité. Pour une fois qu’il a un bout de réel de son côté. Le progressiste aussi tient bon – Nous ne verrons pas, nous ne saurons pas.

Les chefs à plumes du Nouveau Front populaire (et les centaines d’ectoplasmes militants qui propagent leurs hautes pensées) connaissent leur minute d’extase quand la ministre allemande de l’Intérieur lâche l’un de leurs mots préférés avec « génocide » : le terroriste était « islamophobe ». Le bonheur de nos idiots utiles serait complet si, en prime, c’était un petit gars bien de chez nous, mais un tueur islamophobe, c’est déjà cadeau. Glory alleluiah, il soutiendrait l’AFD – qui n’en organise pas moins une manifestation contre l’immigration massive. Faure et les autres ne se tiennent plus de joie et fondent sur Jordan Bardella et Marine Le Pen, traités de « vautours » parce qu’ils ont dégainé trop vite – à rapace, rapace et demi. Tout ça c’est du racisme antimusulmans, pépie Faure. Je dirais même plus, de la haine antimusulmans, renchérit Bompard qui conclut sentencieusement : « N’oubliez jamais que l’extrême droite tue. » Comme d’habitude, « le réel est reporté à une date ultérieure » (Muray).

Comme le recommandait je ne sais plus quel « théoricien » d’Al-Qaïda, les djihadistes ont tué avec tout ce qui leur tombait sous la main : couteaux, kalachnikovs, haches, ceintures d’explosifs, bombes, camions. En France, depuis 2012, ils ont assassiné des enfants, des journalistes, des policiers, des juifs, des chrétiens, des musulmans trop français, des professeurs (tous en tant que tels) et des centaines de Français innocents. Après les opérations soigneusement préparées par les multinationales du terrorisme, on a vu apparaître des PME locales et des autoentrepreneurs. Au-delà des morts, des blessés, des endeuillés, ils ont soumis nos existences à un régime de contrôle permanent. Tout déplacement, tout rassemblement, toute célébration collective, sans parler des raouts planétaires façon JO, doit répondre à des standards sécuritaires qui exigent que nos rues soient hérissées de grilles et parsemées de blocs de béton. Le terrorisme islamiste ne se contente pas de tuer, il nous pourrit la vie.

Sans surprise, les commissaires politiques de la gauche soumise et leurs proxys médiatiques n’en démordent pas : le danger, c’est l’extrême droite, l’antisémitisme, c’est l’extrême droite (pas celui qui casse la gueule aux juifs en tout cas, mais c’est un détail), le racisme, c’est l’extrême droite, l’homophobie, c’est l’extrême droite (amusant). Et plus que tout, l’islamophobie, crime suprême contre la dignité humaine (bien qu’on ait parfaitement le droit de ne pas aimer l’islam), c’est l’extrême droite. Certes, cette volaille ne fait plus l’opinion commune. Mais elle tient assez de citadelles, dans les rédactions, les universités et les innombrables associations subventionnées pour faire l’opinion qui compte. Et réduire les lanceurs d’alerte au silence.

Ces dernières années, alors que l’islamo-gauche refondait son alliance honteuse dans le soutien à peine masqué au Hamas, l’obsession de l’extrême droite, brandie comme un brevet de Résistance dans toutes les strates de la bonne société politique et médiatique, nous a collectivement désarmés. Autrement dit, pendant que les Frères musulmans étendent leur emprise, tous les beaux esprits du pays prennent la pose et jurent que plus jamais ça, refusant de voir qu’un autre ça arrive par la fenêtre. Par cynisme électoral, paresse intellectuelle, idéologie, intérêts de boutiques et plus encore par peur, ce petit monde se serre les coudes dans un pitoyable Front républicain dont un bon tiers des représentants roucoulent ouvertement avec les ennemis déclarés de la République, votre voile est tellement féministe, chère amie et vous reprendrez bien un peu d’intifada.

En effet, le danger mortel qui menace notre pays et le monde que nous aimons, ce n’est pas le terrorisme armé, largement tenu en respect par les services de sécurité et, il faut le souligner, par la justice antiterroriste, peu encline, contrairement aux tribunaux de droit commun, à pratiquer la politique de l’excuse. C’est la terreur à bas bruit qui commence par imposer une norme étrangère dans certains quartiers avant d’exiger qu’elle soit, au nom de l’inclusivité, érigée en règle commune. C’est le séparatisme qu’Emmanuel Macron a promis de combattre pour finir par le câliner, terrifié par la perspective, opportunément agitée sous son nez, d’un embrasement des quartiers.

C’est le lynchage numérique, la calomnie et l’extrême droitisation de quiconque s’aventure hors des clous de la doxa vivre-ensembliste. Ainsi notre ami Pierre Manent a-t-il été couvert de boue pour avoir dit que le nombre de musulmans en Europe ne pouvait pas croître indéfiniment, sauf à accepter que l’Europe ne soit plus l’Europe. Ce philosophe subtil et précis a même été accusé de prôner, accrochez-vous, une « solution finale » pour les musulmans. Certes ses accusateurs sont des abrutis analphabètes, mais d’abord il y en a de plus en plus et ensuite, on sait très bien qu’une ânerie repostée des milliers de fois devient une vérité virale.

Le 11 janvier 2015, des millions de Français se sont dits prêts, sinon à mourir, à se battre pour leur liberté. Et ils se sont battus pour leur retraite. Contrairement au Danemark, la France n’a pas eu besoin d’inscrire dans la loi l’interdiction du blasphème, parce que tout le monde ou presque a intégré la contrainte, les uns parce qu’ils considèrent les musulmans comme des victimes et que les victimes ont toujours raison (sauf quand elles ont tort comme celles de Charlie), les autres (dont nombre de mes amis cathos) parce qu’il ne faut pas se moquer de la religion des autres, et la majorité parce qu’elle ne veut pas risquer un coup de couteau pour un mot de trop. Nul ne se risquera plus à publier une caricature de Mahomet, ce qui est vraiment triste pour les musulmans, privés de cette normalisation ultime qu’est le fait d’être un objet de moqueries, demandez aux blondes et aux Belges.

Tous les indicateurs le prouvent : la France de 2025 est plus islamisée que celle de 2015, Gilles Kepel a même inventé l’expression « djihadisme d’atmosphère » pour décrire l’imprégnation des esprits. L’école, les clubs sportifs, l’hôpital sont sous pression, demain, ce sera peut-être l’armée et la police. Sur le front de la liberté d’expression, le bilan n’est pas plus glorieux. Certes, le grand bazar d’internet et l’avènement des médias Bolloré permettent aux voix dissidentes de se faire entendre, mais la police du langage ne désarme pas. La seule chose qui ait progressé, c’est la prise de conscience collective. Mais la France CNews peut bien aboyer, la caravane politique passe avec son cortège de lâchetés, soumissions et accommodements.

Puisque nous sommes entre nous, permettez-moi un aveu. Parmi les titres auxquels vous avez échappé, le favori était « L’étrange défaite », qui nous a finalement semblé trop… défaitiste. Préférant commencer l’année avec l’optimisme de la volonté plutôt qu’avec le pessimisme de la raison, nous avons finalement décidé de nous adresser à tous une injonction au combat, c’est-à-dire à l’intelligence, l’irrévérence et la rigolade. Oui, n’ayons plus peur ! Et pour nous donner du cœur au ventre, conservons une seule image de 2024, celle d’une jeune fille déambulant en sous-vêtements devant l’université Azad de Téhéran, altière et libre, défi vivant aux miliciens de la vertu. En plus, elle a gagné ! La justice iranienne n’a retenu aucune charge contre elle, elle n’a même pas été exclue de l’université. Et nous, ici, nous reculerions devant trois internautes mal embouchés ? N’oublions pas cette héritière de Shéhérazade et de la reine Esther, sa longue chevelure tombant sur ses reins, ses bras croisés sur son ventre nu. On ne connaît pas son nom. Mais son courage nous oblige.

Janvier 2025 - #130

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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