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Snoopy, est-ce de la poésie ou du divertissement?

70 ans d'amour pour l'adorable Snoopy


Snoopy, est-ce de la poésie ou du divertissement?
Le dessinteur américain Charles Monroe Schulz (1922-2000) photographié en 1995 à Santa Rosa © BEN MARGOT/AP/SIPA AP20646198_000001

Ou comment un beagle lunaire peut-il guider les hommes depuis plus de 70 ans sans avoir été élu.


L’actualité est trompeuse, mensongère même. On se vautre dans une élection comme on dévore une tablette de Galak. Avec gourmandise et écœurement. Chocolat blanc ou candidats, même combat. On se passionne aujourd’hui pour les micro-événements d’une campagne qui nous paraîtrons complètement dérisoires dans quelques semaines, voire dans quelques minutes. Comme si les messages politiques s’autodétruisaient à mesure qu’ils s’affichent sur l’écran noir de nos nuits blanches.

Double anniversaire

Nouvel opium du peuple, les élections sont un passe-temps pour des nations en fin de vie, une dernière récréation avant de fermer la boutique. Cette présidentielle nous ferait presque passer à côté d’un double anniversaire.

Snoopy est ce fado qui s’infiltre en nous et propage son virus de la fêlure…

En 2022, nous fêterons le centenaire de la naissance de Charles Monroe Schulz (1922-2000) à St Paul dans l’Etat du Minnesota et les 70 ans de l’apparition de la page en couleurs dominicale des Peanuts. Le créateur de Snoopy et de Charlie Brown, à l’égal d’un Dante ou d’un Jean de la Fontaine, est ce penseur décomplexé qui en quatre bandes, puis en trois, a cartooné notre existence, lui a ouvert le chemin vers la rêverie mélancolique et solitaire, a donné une consistance métaphysique à notre errance naturelle.

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Les personnages de Schulz sont des masques interchangeables, les différentes facettes de notre propre personnalité qui évolue au fil des heures d’une même journée. En même temps, nous sommes ce bon vieux Charlie Brown, perdant résilient et modèle de sainteté, mais aussi Lucy Van Pelt, emmerdeuse magistrale et psychiatre désaxée qui affirme sans ciller « Me connaître, c’est m’aimer » et aussi Schroeder, pianiste virtuose et fatalement incompris.

L’échelle des sentiments

Dans nos meilleurs jours, nous aspirons à devenir Woodstock, l’oiseau qui pousse l’amitié jusqu’à l’effacement. Même si, avouons-le, nous enfilons très souvent la couverture de Linus Van Pelt pour nous protéger des frimas du monde extérieur. Ce jeune garçon a anticipé tous nos débats actuels sur le besoin de sécurité. Nous varions ainsi sur l’échelle des sentiments tels les héros de ce comic strip né en 1950 et diffusé sur toute la planète. En 1990, pour ses quarante ans, les Peanuts étaient publiés dans près de 2 293 journaux à travers 67 pays. Notre attachement au chien de Charlie Brown est quasiment ontologique. C’est notre double de papier, tantôt apprenti écrivain qui bute après la première phrase de son roman inachevé : « Par une nuit sombre et orageuse… », héros de l’aviation de la Première Guerre mondiale qui combat le Baron Rouge ou encore plus cool que le « King of Cool » Steeve McQueen dans la peau de Joe Cool avec ses lunettes noires et son dilettantisme souverain. Nous l’avons tant aimé. Snoopy n’est-il pas le seul beagle à pouvoir voyager dans l’espace, fidèle compagnon et égérie de la NASA ? Les Peanuts, ces « choses insignifiantes » ont été déclinées à l’infini en produits dérivés et en objets publicitaires sans perdre leur part d’innocence et leur profondeur mystique. Le succès n’a pas dénaturé leur onde nostalgique, ce champ d’expression que tous les artistes recherchent.

Snoopy pour tous les âges de la vie

Est-ce leur apparente simplicité, la répétition mimétique des gestes du quotidien de cette bande de copains, la netteté graphique ou le miroir tendu sur notre enfance qui font de cette bande dessinée une œuvre majeure de la littérature mondiale ? Il suffit de lire, au hasard, quatre ou trois vignettes, à la volée, pour être saisi par la pertinence du propos et leur force d’évasion. Aucun philosophe, essayiste ou dramaturge ne concurrence Schulz par sa puissance d’abstraction et surtout son absence de morgue.

On revient à Snoopy à tous les âges de la vie, en y puisant cette tendresse écorchée des émotions oubliées et en sondant l’intranquillité du monde en mouvement.

Pour mieux comprendre les Peanuts, il faut avoir lu préalablement Fernando Pessoa qui sans le savoir en donne une définition lumineuse : « La tristesse solennelle qui hante toutes les grandes choses – les cimes comme les vies grandioses, les nuits profondes comme les poèmes éternels ». Snoopy est ce fado qui s’infiltre en nous et propage son virus de la fêlure. Une fêlure qui ne serait pas geignarde, ni ostentatoire, scellant seulement notre âme vagabonde. Umberto Eco fut le premier à théoriser les Peanuts dès 1963, dans la préface d’une édition italienne et à déclarer que Charles M. Schulz était un poète. « Nous aimons inconditionnellement, fiévreusement, férocement, insupportablement Charles M. Schulz » écrivait-il. En langue anglaise, sa formule devenue célèbre fait toujours mouche : « The poetry of Schulz is neither epic not dramatic, it is lyric ». On aimerait tant que les candidats possèdent ce lyrisme pour nous transporter.





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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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