Vendredi 9 septembre, au lendemain du décès de la Reine Elizabeth II, son fils, Charles, a pris la parole en public, s’adressant à la nation, pour la première fois en tant que Roi. A-t-il pu adopter un ton juste ? A-t-il été à la hauteur de l’occasion ? Réponse : Charles est bien le fils de sa mère.
En 2010, le long métrage de Tom Hooper, “Le Discours d’un Roi”, met en scène le père de la future Elizabeth II qui, lors de son accession inattendue au trône suite à l’abdication de son frère aîné, Édouard VIII, doit surmonter des difficultés personnelles pour pouvoir s’adresser à son peuple dans une allocution radiophonique. Hier, suite au décès de la Reine, c’est son fils qui a dû s’adresser à la nation – et au monde – dans son premier discours en tant que Roi.
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Allait-il se montrer à la hauteur de cette tâche ardue ? Trouver les paroles les mieux adaptées à l’immense émotion ressentie par le public au Royaume Uni et ailleurs ? Se montrer digne de celle qui a régné sur le pays et 14 autres États pendant 70 ans ?
Une attente mondiale
Les caméras du monde ont suivi l’avion et ensuite la Rolls Royce de Charles qui l’ont amené de l’Écosse, où il avait assisté au décès de sa mère, jusqu’à Buckingham Palace à Londres. Au moment où, devant une foule considérable, il est descendu de sa limousine, précédé par sa Queen Consort, Camilla, la tension et l’attente étaient au plus haut point. Quelles ont dû être les pensées de cet homme qui a été obligé de patienter pendant des décennies avant d’accéder au trône, maintenant qu’il arpentait la grande cour devant ce palais, désormais le sien ? Et qu’il se trouvait en même temps face à l’immense responsabilité qui incombait à un homme devant prendre la suite d’une monarque tant aimée et admirée ? C’est à cet instant que s’est opéré un de ces petits miracles qui arrivent de temps en temps. Se promenant dans l’espace entre les grilles du palais, au pied desquelles d’innombrables bouquets de fleurs avaient été déposés en hommage à la Reine défunte, et les barricades le séparant de la foule, Charles est allé à la rencontre du public, serrant les mains, échangeant des paroles et des sourires avec des gens de tous les âges et visiblement d’une grande « diversité » (comme on dit), et se laissant photographier par d’innombrables smartphones. Et, à la tristesse universelle provoquée par le départ d’Elizabeth, s’est mêlée une véritable liesse à l’arrivée de Charles. Non que le souvenir de la Reine s’était éclipsé. À ce moment, au Parlement, les députés – de gauche comme de droite – rendaient hommage à leur ancien chef d’État dans une série de discours à la fois solennels et affectueusement humoristiques. Non, l’image de la Reine était toujours présente dans tous les esprits. Cette combinaison inédite faite de deuil et de joie était plutôt le signe que la relève était assurée.
Une relève historique
Pourtant, on ne savait pas encore si Charles allait pouvoir traduire ces émotions en paroles, les canaliser vers une véritable vision commune, positive, de l’avenir. Voilà le défi du discours diffusé quelques heures plus tard. Déjà, le voir assis à la place de la Reine devant la caméra n’a pas choqué. On connaît Charles de longue date, ses traits sont presque aussi familiers que ceux de sa mère, et on sait que, à Buckingham Palace, il est, depuis toujours, chez lui. Parlant simplement, brièvement, sans emphase (une leçon oratoire pour certains politiques), il a parlé d’abord de la Reine, sa mère « bien aimée », parlant à la fois de son deuil personnel et de celui de la nation, pour en faire un seul deuil partagé de tous. Ensuite, il a parlé de lui-même mais uniquement pour renouveler, par des allusions explicites, le serment de mettre toute sa vie au service des autres qu’avait fait sa mère dans sa jeunesse. Qui ne connaît pas le film de la jeune Elizabeth qui promet de se consacrer entièrement à ses devoirs envers son peuple – ou plutôt ses peuples ? Certes, Charles est aujourd’hui beaucoup plus âgé, mais le message est clair : jeunes ou vieux, les monarques de maison de Windsor sont là pour servir. Il a annoncé que son fils, le prince William, lui succèdera comme prince de Galles (titre équivalent à celui de « dauphin » en France) et a exprimé son affection sans limite pour tous les membres de sa famille, nommant Harry et Meghan, ce qui suggère que le décès de la Reine a opéré une grande réconciliation. Enfin, Charles s’est adressé directement à sa mère, selon une technique traditionnelle dans la rhétorique funéraire, mais qui est en pratique très difficile à exploiter avec succès quand il s’agit d’un parent aussi proche. Sa maîtrise a été parfaite, ainsi que son choix d’une citation du Hamlet de Shakespeare (Acte V, Scène 2) : « May flights of angels sing thee to thy rest » (« Que des nuées d’anges te bercent de leurs chants »).
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On entend partout cette banalité : « Avec la mort d’Elizabeth II, c’est une page de l’histoire qui se tourne ». On ne peut pas le nier. Et pourtant, les pages de l’histoire ne cessent de se tourner, et à chaque page on retrouve un certain nombre des éléments qui figuraient sur la page précédente. Oui, la relève est assurée.