C’est officiel : Charles III souffre d’un cancer. Qu’est-ce qui changera outre-Manche ? La stabilité de la monarchie est-elle menacée ? L’analyse de Jeremy Stubbs.
Le palais de Buckingham vient d’annoncer, hier soir, que le roi Charles souffre d’un cancer. Lors d’une hospitalisation la semaine dernière dont le but était le traitement d’une prostate élargie, les médecins auraient trouvé un cancer. Ce dernier, selon l’annonce officielle, ne serait pas lié à la prostate, mais aucune autre information n’a été divulguée quant au type de cancer en question.
Un communiqué du Premier ministre, Rishi Sunak, a apporté la précision que le cancer de Charles aurait été diagnostiqué précocement. Pour le moment donc, tout semble suggérer que le roi est bien pris en charge et qu’il pourra surmonter cette épreuve. Aujourd’hui, les patients guérissent beaucoup plus souvent que dans le passé, surtout si le cancer est détecté tôt dans son évolution. Et si, au Royaume-Uni, la pandémie a allongé les listes d’attente du fameux National Health Service (NHS) pour les patients ayant besoin de commencer un traitement anticancéreux, nous pouvons être certains que le roi ne sera pas à la fin de la file d’attente. Pourtant, la santé de Charles a soulevé plusieurs questions, les unes un peu superficielles, les autres plus profondes.
Une nouvelle ère de transparence ?
Certains commentateurs médiatiques se sont excités en parlant d’une nouvelle ère de transparence entamée par la monarchie britannique. En réalité, ils vont un peu vite en besogne. Certes, jusqu’ici, la famille royale s’était toujours montrée très discrète concernant la santé de ses membres et en particulier celle du monarque régnant. À la fin de sa vie, Elisabeth II a été très avare d’informations sur son état, malgré le fait évident qu’elle n’était plus en pleine forme. Mais la reine était très âgée – elle est décédée à l’âge de 96 ans – et le fait que ses apparitions publiques s’espacent n’a surpris personne. En revanche, Charles a joui jusqu’ici d’une bonne santé. Il est très actif et s’épanouit dans son rôle de monarque qu’il prend à bras-le-corps. Il aurait été impossible de cacher le fait qu’il se fait soigner pour un cancer, même en milieu ambulatoire. D’autant que, avec la reine Camilla, il est censé faire un voyage officiel au Canada au mois de mai. Le communiqué du palais a d’ailleurs cité la nécessité de « prévenir toute spéculation ».
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Cela dit, Charles est le parrain de nombreuses ONG qui s’occupent de questions de santé et notamment de cancer. Sa décision d’assumer publiquement son statut de patient est considérée par beaucoup de gens outre-Manche comme une contribution importante à la sensibilisation, d’abord à la nécessité de se faire tester pour cette maladie, et ensuite au fait que souffrir d’un cancer n’est pas nécessairement incompatible avec la continuation de sa vie professionnelle. Pour tout dire, l’annonce constitue un bon point pour l’image du roi et de la monarchie.
Charles a-t-il la poisse ?
Après avoir patienté pendant des décennies pour accéder enfin au trône, Charles apprend, huit mois après son couronnement, qu’il a un cancer. Il joue de malchance ! Mais rien ne dit que le roi, âgé de 75 ans, sera obligé de disparaître de la scène publique – sans parler d’abdication. Nous avons appris qu’il va réduire son implication dans les événements publics mais qu’il continuera à accomplir ses devoirs constitutionnels, comme la rencontre hebdomadaire avec le Premier ministre. En toute probabilité, il aura de longues années devant lui en tant que roi.
Une réconciliation possible avec Harry ?
Nous savons que les relations entre le roi et son fils cadet, Harry, sont très tendues, depuis que ce dernier a quitté le Royaume-Uni pour vivre aux États-Unis avec son épouse Meghan, et surtout depuis la publication, l’année dernière, du Suppléant1, son autobiographie écrite par un prête-plume, qui a consacré sa subjugation par le wokisme américain et sa volonté de médire de sa propre famille. Lors d’un voyage en Angleterre au mois de septembre dernier, Harry se serait vu refuser la possibilité de passer une nuit au château royal de Windsor. Pourtant, les choses semblent différentes cette fois. Harry doit rendre visite à son père ces jours-ci et tout indique qu’il sera l’invité de son père pour le gîte et le couvert. Tant que Harry restera sous la coupe de son épouse, une vraie réconciliation avec sa famille sera difficile, mais c’est aujourd’hui un pas dans la bonne direction. Et le moral de Charles, qui souffre visiblement de cet éloignement de son deuxième fils, sera revigoré par un relâchement des tensions.
Et la constitution dans tout ça ?
Si jamais Charles était obligé d’abdiquer, quelles en seraient les conséquences ? Son grand-oncle, Edouard VIII, a été contraint de quitter le trône en 1936. Il y a donc un précédent. Dans ce cas, son héritier immédiat, le prince William, serait obligé d’assumer la couronne et tout indique qu’il se prépare à jouer ce rôle un jour. Mais a-t-il déjà acquis suffisamment de maturité ? Dieu sait s’il est beaucoup plus adapté à l’accomplissement des tâches qui incombent à un roi que son frère cadet. Néanmoins, il y a des signes qui suggèrent qu’il a encore du chemin à faire. Selon une biographie du roi Charles par le journaliste spécialisé dans les questions royales, Robert Hardman – biographie qui vient d’être publiée dans le quotidien britannique The Daily Mail – William serait beaucoup moins dévoué à l’Église anglicane que sa grand-mère, Elisabeth II, et serait moins investi dans la spiritualité en général que son père. Actuellement, il serait prêt à réduire au minimum la cérémonie du couronnement et même prêt à renoncer au titre et au rôle traditionnels du monarque en tant que Gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre. Or, cette fonction symbolique possède une importance constitutionnelle, comme la cérémonie du couronnement – on l’a vu au mois de mai l’année dernière – possède une importance qu’on peut qualifier de « publicitaire ». Ces deux éléments confèrent à la position du monarque une dimension solennelle, voire sacrée, et relient le présent au passé historique de la nation. Il se peut bien William veuille incarner une monarchie « moderne », mais il y a des risques à ne pas sous-estimer.
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Pendant les longues années où Charles, en tant que prince et héritier, attendait dans les coulisses que sa mère quitte la scène, il avait cultivé une image de réformateur et de modernisateur. Pourtant, une fois monté sur le trône, il s’est montré plus conservateur que prévu. Il a assumé sans complexe la dimension spirituelle de sa charge. Le rituel de son couronnement était légèrement plus spartiate – et moins long ! – que celui de sa mère, mais il en a gardé l’essentiel, en faisant la joie de la foule et des téléspectateurs. La présence de représentants des religions juive, hindoue, sikh et musulmane a reflété le caractère multireligieux du Royaume-Uni actuel, mais le rite anglican a réaffirmé la tutelle, pour ainsi dire, de la tradition chrétienne et nationale comme celle qui, par son histoire, est capable de réunir tous les Britanniques.
Certes, William jouit d’un capital de popularité non négligeable. Mais une monarchie ne peut pas reposer sur la popularité d’un individu, car cette popularité peut toujours s’évaporer. Et vouloir qu’une nation soit fondée uniquement sur des principes rationnels et abstraits, sans aucune dimension sacrée et sans référence à son histoire – et à l’ancienneté de cette histoire – est folie.
Pourtant, si Charles continue à régner pendant un temps appréciable, si William continue à accomplir ses propres fonctions aux côtés de son père et sous l’influence de ce dernier, l’actuel prince de Galles pourra évoluer et mûrir, comme son père l’a fait avant lui. Il pourra comprendre pourquoi, dans ce bas monde, la magie et la mystique restent nécessaires, surtout à la survie d’un État-nation.
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- Relire notre analyse de la sortie du livre ici : https://www.causeur.fr/harry-un-ami-qui-vous-veut-du-mal-253856 ↩︎
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