Parmi les calamités qui ont marqué l’année 2020, il faut compter une poignée de disques de chanteuses ambitionnant de révolutionner la langue française.
Dans une actualité musicale en berne, il importait pour la presse autorisée de se pâmer devant ces nouvelles héroïnes, comme Aya Nakamura qui abreuve ses auditeurs d’un lourd sabir déroulé sur une musique conventionnelle. Pour France Info, la native de Bamako « fait bouger la langue française » grâce à un savant mélange de dialecte africain et de langage urbain. Karim, un « jeune de Montreuil », explique que ce langage est maintenant celui de toutes les cités : « Elle parle comme nous… Pour nous, c’est ça la langue française. » Une linguiste des éditions Le Petit Robert est appelée en renfort pour valider l’importance du basculement : niant tout appauvrissement de l’expression, elle souligne « un plaisir du verbe qui s’affranchit des règles ». Point de salut sans déconstruction de la syntaxe bourgeoise et du vocabulaire oppressif tout infesté de références coloniales ! La spécialiste admet néanmoins que ces nouveaux termes argotiques (« pookie » pour « balance », « Djo » pour « mec »), même s’ils dénotent une « bonne santé » de notre langue, n’ont pas encore vocation à entrer dans son dictionnaire.
Le phénomène Wejdene
Autre phénomène banlieusard qui fascine les rédactions parisiennes : Wejdene, très jeune chanteuse de Saint-Denis, dont les textes semblent échapper à toute logique. On peut y croiser des vers tels que « J’pourrais dead pour toi » ou « Tu hors de ma vue » (sic). Vanity Fair y voit un phénomène de société : la chanteuse rose bonbon, à la grammaire fautive, est carrément le « parfait reflet de notre époque ». Non seulement elle casse les codes, mais en plus elle est naturellement « féministe » comme toutes les super-héroïnes de la nouvelle culture de masse. Certes, chaque génération a son argot, sa stratégie pour faire corps contre les adultes. Certes, le langage a été mille fois trituré par les poètes. Mais comme le disait ma concierge, on peut violer la langue, à condition de lui faire de beaux enfants.