Quelle est la vraie raison des attaques à l’encontre de Chantal Jouanno: son salaire exorbitant ou le fait d’avoir montré du doigt les problèmes que le gouvernement ne veut pas voir ? Retirée du pilotage du grand débat national, elle a raison de ne pas démissionner de la présidence de la Commission nationale du débat public (CNDP). La chasse aux sorcières dont elle est la cible a tout d’une diversion.
Depuis quelques jours, la chasse à Chantal Jouanno est ouverte. La présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) a tout de la victime expiatoire de la crise actuelle, celle des gilets jaunes mais aussi celle d’un président de la République aux abois qui tente une diversion en lançant lui-même un grand débat à condition que les Français invités à débattre ne viennent surtout pas contrarier son grand dessein de « modernisation libérale ». On pourra discuter de tout, à condition de ne pas remettre en question ce qui a déclenché la crise : les inégalités qui se sont creusées et qui ont rendu difficile et humiliante la vie, ou plutôt la survie quotidienne de millions de Français qui se battent chaque jour, et souvent sans succès, pour ne pas passer du mauvais côté de la frontière qui sépare la classe moyenne de la pauvreté pure et simple alors que pourtant… ils travaillent.
Chantal Jouanno, le poids des maux
Chantal Jouanno avait été chargée à la mi-décembre, somme toute logiquement étant donné ses fonctions, d’organiser et de synthétiser ce débat. Assez vite, elle a eu des doutes. Quand, le 4 janvier, elle annonçait que les premières synthèses faisaient remonter deux sujets principaux « la justice sociale et fiscale » et « l’injustice territoriale », elle a sans doute signé sans le savoir son arrêt de mort. Aux yeux du gouvernement d’abord qui n’a surtout pas envie qu’on parle trop de ça mais aussi aux yeux d’une certaine droite qui aimerait bien que les gilets jaunes n’aient pas des revendications sociales et que leurs vraies préoccupations soient, dans le désordre, l’immigration, la peine de mort et pourquoi pas le « mariage pour tous », attitude qui fait penser à celles des enfants des petites sections de maternelles qui veulent absolument faire rentrer un triangle dans l’espace prévu pour un carré.
Droite dans ses bottes
Alors, pour commencer, on a sorti le salaire de la présidente du CNDP : 14 700 euros par mois. Il est certain que ça la fichait mal. Comment une dame qui gagnait plus de dix fois le smic allait pouvoir comprendre la misère ordinaire des gilets jaunes. Chantal Jouanno, pourtant un exemple de méritocratie républicaine, qui a commencé par un simple BTS et ne devient énarque qu’à trente ans, inspire plutôt la sympathie. Centriste de cœur, ministre de Sarkozy, mal à l’aise avec sa campagne trop droitière de 2012, elle quitte l’UMP pour l’UDI, une manière plutôt courageuse de ne pas renier son camp mais de ne pas renier non plus ses convictions.
Compte tenu de la révélation de ce salaire alliée à la façon à la fois floue et verrouillée dont le grand débat allait s’enliser, elle jette l’éponge. Et aussitôt, l’inénarrable Benjamin Griveaux, le Salvador Allende du putsch en transpalette, de réclamer sa démission. On en est là.
La paille de Chantal Jouanno, la poutre du CAC 40
Pendant ce temps, une autre information pourtant intéressante est passée dans un relatif silence. Le 9 janvier, on apprend que les entreprises du CAC 40 avaient reversé 57, 4 milliards d’euros aux actionnaires, battant le record de 57 milliards qui datait de 2008 juste avant la crise. Et puis aussi, pour faire bonne mesure, que Carlos Ghosn était résident fiscal aux Pays-Bas depuis 2012, c’est à dire qu’il faisait ses affaires en France mais n’allait tout de même pas payer des impôts chez nous pour qu’ils soient redistribués aux ploucs.
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La rémunération des hauts-fonctionnaires, comme Chantal Jouanno, est peut-être abusive. Il n’empêche qu’on a la fâcheuse impression qu’il s’agit là d’une belle manip pour que le populo se trompe de colère. Est-ce scandaleux et sombrer dans la haine des riches de dire que la principale cause de l’ire des gilets jaunes est d’abord dans la répartition des richesses entre le capital et le travail ? D’ailleurs, qui a déclaré, le 20 décembre : « Qu’il y ait autant de dividendes distribués et pas assez d’augmentations de salaires, personnellement ça me choque » ? Gerald Darmanin himself, le célèbre ministre bolchévique.
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