Abandonné par les pays musulmans à partir des années 1930, le voile y a été réintroduit par les Frères musulmans au moment où l’Angleterre inventait la minijupe. Inconscientes d’être instrumentalisées dans leur stratégie de reconquête qui se déploie désormais en Occident, les musulmanes sont tenaillées entre la peur et l’idéologie victimaire.
Causeur. Quelle histoire nous raconte le voile ?
Chantal de Rudder. Une histoire extraordinaire, unique peut-être, la résurgence d’une coutume qu’on croyait trépassée et qui ressuscite, des décennies plus tard, sur la planète entière, dotée d’une nouvelle signification ! Ma grand-mère juive tunisienne portait le voile. Sur tout le pourtour méditerranéen, et jusqu’aux confins de la Chine, le voile fut un attribut de la société patriarcale, non celui d’une religion spécifique. Le Coran n’ordonne pas le voile, il enjoint la pudeur aux femmes, comme aux hommes d’ailleurs. Cela explique pourquoi, à partir des années 1930, certains pays musulmans s’autorisent à l’abolir sans avoir l’impression de commettre un sacrilège. Le voile est considéré par les dirigeants musulmans d’alors comme le symbole d’une arriération qui a permis la colonisation ou la domination occidentale. L’Iran des Palhévis ou la Turquie d’Atatürk, puis la Bosnie de Tito en décrètent l’abolition autoritaire. Ailleurs, en Égypte ou en Tunisie par exemple, il se raréfie à la faveur de réformes du statut féminin.
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Au même moment, les Frères musulmans, confrérie fondée en 1928 par Hassan el-Banna, développent une stratégie inverse de reconquête de la société via les femmes : contre l’occidentalisation honnie, le hijab qu’ils préconisent proclame sans bruit l’adhésion de la population non à l’islam de papa, mais à l’islam politique qui réclame la charia comme constitution. L’évangélisation par le voile, c’est l’idée maîtresse des Frères, leur concept conquérant. Dans les années 1950, le voilement frériste est affiné, il se démarque de la tradition. Dans les années 1960, il se limite à un phénomène de campus. Les militantes du hijab n’auraient pourtant jamais eu accès aux études si l’abolition du voile ne les avait pas délivrées du confinement dans l’espace domestique ! Comme la minijupe de Mary Quant dans le « Swinging London » de la même époque, l’uniforme avant-gardiste des soldates de la foi cairotes annonce une société en mutation. Et deux civilisations qui s’éloignent l’une de l’autre.
C’était une erreur de punir les fidèles en fermant le lieu de culte de Pantin, dont l’imam avait posté sur la page Facebook de sa mosquée la vidéo qui a probablement entraîné la décapitation de Samuel Paty. C’est l’imam qu’il fallait poursuivre, et pourtant il ne l’a pas été !
De quoi le voile est-il le symbole aujourd’hui ?
« La grande victoire des islamistes, m’a dit l’historienne
