François Hollande n’est pas du genre trouillard. On l’a vu récemment rendre une visite-éclair à nos soldats chargés de ramener un semblant d’ordre en Centrafrique, malgré des conditions de sécurité plutôt hasardeuses. Mais il n’est pas kamikaze non plus. Risquer sa peau dans un lointain conflit, il doit penser, à raison d’ailleurs, que ça fait partie du job. En revanche, il y a des guerres dans lesquelles le Président entend n’être impliqué à aucun prix.
Non voyons, rien à voir avec les femmes de sa vie – à Causeur on respecte la vie privée. Il s’agit de la guerre de tranchées qui fait rage au sein du gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
Rappelons les faits. Le 16 décembre, au cours d’une cérémonie organisée pour les soixante-dix ans du CRIF, le président a ironisé sur le fait que Manuel Valls, qui avait accompagné Jean-Marc Ayrault à Alger, en était rentré « sain et sauf ». « C’est déjà beaucoup », a-t-il ajouté. Or, à en croire Jean-Jérôme Bertolus, journaliste à iTélé généralement bien informé, la plaisanterie ne visait pas ce pays, mais la pétaudière gouvernementale où, malgré les bons mots présidentiels, on ne semble pas rigoler tous les jours. Le chef de l’Etat aurait préféré subir les leçons de maintien de l’opposition et frôler l’incident diplomatique avec l’Algérie plutôt que de courir le risque d’être entraîné dans le conflit qui oppose son ministre de l’Intérieur et son Premier ministre. Si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé. Et cela nous instruit sur la vie des bêtes politiques. La suite de l’affaire est nettement moins drôle. Informés par la magie des réseaux sociaux, les Algériens, eux, n’ont pas douté que cette innocente blague leur était destinée – on se demande bien pourquoi, nul n’ignorant que ce beau pays est l’un des plus paisibles de la planète.
Il faut croire que ce peuple pourtant adepte d’un humour féroce n’apprécie pas que l’on rie de tout et surtout pas avec n’importe qui. Une blague faite par le Président français est une effroyable manifestation de néo-colonialisme. Le site Algérie Actualité n’a pas loupé cette occasion de rejouer la Révolution : « La France qui ne s’est jamais excusée pour ses crimes coloniaux en Algérie devra le faire pour laver l’affront de son Président. Ce sont les Français eux-mêmes qui l’exigent ! »
À l’évidence, la violence de l’affront a été décuplée par le fait qu’il leur a été infligé devant des Juifs, je veux dire devant le CRIF, enfin vous m’avez comprise. Un quotidien arabophone titrait sobrement, le samedi suivant l’incident : « Hollande se moque de l’Algérie devant les Juifs ». Et citons, parmi des centaines de commentaires de la même eau, l’aimable Mohamed qui s’insurge sur Facebook : « Eh oui, ils viennent pour investir et prendre l’argent ensuite nous insulter pour les beaux yeux des Juifs ! » Ça, c’est l’ « humiliation arabe » au carré.
Une fois l’opinion chauffée à blanc par une presse déchaînée, tout ce que le pays compte de responsables politiques s’est senti obligé d’en remettre dans l’indignation. Et que je dénonce ces « propos provocateurs » qui « dénotent la haine vouée par les Français aux Algériens », et que je confie avoir « la nausée ». Pour un peu, on aurait exigé du pouvoir qu’il rompît ses réactions diplomatiques avec Paris. Sans aller jusque-là, le gouvernement a fait connaître son mécontentement et réclamé un signe d’apaisement.
Le comble, c’est qu’il l’a obtenu. Non pas qu’il soit indigne de présenter des excuses quand on a blessé un ami. Sauf qu’un ami ne vous déverse pas des tombereaux d’injures sur la tête pour un mot malheureux. Un ami ne fait pas preuve d’une susceptibilité aussi maladive. Un ami ne passe pas son temps à vous reprocher tout ce qui va mal dans sa vie. Alors oui, on aurait aimé que l’Elysée fasse la sourde oreille et ne se fende pas de regrets enrubannés de protestations d’affection. Et on aurait aussi apprécié que l’opposition, en cette affaire, se montre un peu plus patriote et soutienne le Président au lieu de se ruer sur cette occasion de l’embarrasser.
Quant aux Algériens, il serait temps pour eux de se demander si, cinquante ans après l’indépendance, ils n’ont pas une vague responsabilité dans l’état de leur pays. S’ils veulent en finir avec la colonisation, peut-être devraient-il cesser de se poser en anciens colonisés qui n’en finiront jamais de présenter la facture. Et blague pour blague, j’en ai une pour eux, qui m’a été racontée par un ami algérien. Un petit garçon demande à son père : «Papa, la colonisation, ça a duré 130 ans, c’est ça ? Et l’indépendance, ça va durer combien de temps ?»
Cet article en accès libre est extrait du numéro de janvier 2014 de Causeur. Cliquez ici pour l’acheter.
*Photo : CHESNOT/SIPA. 00649771_000021.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !