Pourquoi donc se fatiguer à rédiger des articles censément drôles quand nos confrères nous les fournissent gracieusement en kit prêt-à-monter ?
Un grand merci, donc, à Jean Quatremer, correspondant permanent de Libération auprès de l’Union européenne. Voici le début de son article du 6 juin, qui occupait toute la page 9 du quotidien : « A une semaine du référendum irlandais sur le traité de Lisbonne, Bruxelles retient son souffle. Car l’Irlande est le seul pays à procéder par voie référendaire à la ratification de ce texte, signé le 13 décembre 2007, qui doit remplacer la défunte Constitution européenne : une île de 4 millions d’habitants tient donc entre ses mains le sort d’une Union de 500 millions de personnes. Certes, les sondages donnent le oui largement gagnant (lire ci-contre) mais sait-on jamais ? »
Et sur la même page 9 que dit le fameux encadré « ci-contre » ?
« Sondages : le Non passe en tête. Selon un sondage paru ce matin dans le quotidien Irish Times, le non l’emporterait pour la première fois depuis le début de la campagne. »
De fait, le sondage précédent du même institut donnait certes le oui « largement gagnant » (35% contre 18 % de non). L’ami Quatremer avait seulement négligé la petite colonne qui indiquait 40% d’indécis. A moins qu’il n’ait décrété que le Traité de Lisbonne étant ce qu’il est, et ses détracteurs étant ce qu’ils sont, les indécis feraient le bon choix à l’approche du scrutin. Et c’est effectivement ce qui semble s’être passé, sauf que c’est le contraire : les derniers sondages montrent que le nombre des indécis (28%) a fondu, mais uniquement au bénéfice des adversaires de la ratification (35% des intentions de vote pour le non, 30% pour le oui).
Dès le lendemain, rassurez-vous, l’eurocorrespondant rectifie le tir. Il y a certes un glissement de l’opinion, mais il a été provoqué – selon l’expression à peine controuvée du Premier ministre irlandais – par la « campagne de peur » des opposants au Traité. En effet, non contents de faire une campagne foncièrement négative, ces désunionistes ont de surcroît trouvé un slogan qui fait basculer par wagons les hésitants : « If you don’t know, vote no ! » Une campagne de peur, on vous dit.
Jouer sur les peurs, ce n’est bien sûr pas le registre de Jean Quatremer. Dans ledit papier, tout juste parle-t-il de « scénario de cauchemar » ou de signal politique « désastreux ». Mais le devoir d’informer ne saurait s’arrêter à la porte de l’isoloir : au cas où il y aurait des lecteurs de Libé dans le corps électoral irlandais, les voilà prévenus. En cas de victoire du non, ça va barder : « La pression sur l’Irlande sera à son maximum. Dublin n’aurait guère d’autre choix que de faire revoter le traité de Lisbonne ou de se mettre en congé de l’Union. »
Comme me le rappelait la facétieuse Elisabeth (Lévy donc, pas Guigou !) l’emblématique « Quand une femme dit non, c’est non ! » des féministes n’a pas cours parmi les eurogroupies pour lesquels « quand un peuple dit non, c’est oui ».
Bons princes, nous sourirons de tout cela, mais pardonnerons aussitôt à l’infortuné Quatremer qui a bien du malheur. Il a beau retourner le problème dans tous les sens, il reste pantois face à « la dynamique d’un non qu’on comprend d’autant moins que l’Irlande doit la plus grande partie de sa richesse à l’Union ». C’est pas tous les jours facile d’être le correspondant permanent de l’Union européenne auprès de Libération…
PS. Quoiqu’en désaccord avec la quasi-totalité de ses papiers, j’aime bien Jean Quatremer, pour des raisons qui ne m’échappent pas tout à fait : en le lisant, je n’ai pas l’impression que ses poignants plaidoyers unionistes, ses caricatures systématiques de l’euroscepticisme ou même ses banals angles morts sur le réel, procèdent de la désinformation délibérée. Avec Quatremer, on n’est plus dans le journalisme d’opinion, mais d’évangélisation: l’Europe, il y croit et ne peut pas croire qu’on y croie pas. Son dévouement inspire le respect, c’est un Père Blanc de l’Union.
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