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Chacun son tour


Chacun son tour

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La réforme territoriale, présentée la semaine dernière par le président Sarkozy, s’accompagne d’une révolution. Celle-ci ne porte ni sur les structures, ni sur les enchevêtrements de compétences, ni même sur le nombre réduit des élus. Tous ces problèmes constituent d’aimables broutilles par rapport au changement de mode de scrutin.

Qu’il me soit permis de battre ma coulpe : comme la plupart des médias, j’ai tu ce sujet. Alors que la presse commentait encore les déclarations de Jean Sarkozy, mon attention se portait sur un communiqué des Chiennes de garde, la lettre de Guy Môquet et l’annulation d’OM-PSG. Pourtant, dès le début, j’aurais dû ici évoquer le scandale que constitue l’établissement d’un scrutin uninominal à un seul tour pour l’élection de nos élus territoriaux à compter de 2014.

Un scandale, parce qu’il raye, d’un trait de plume, cent cinquante ans de démocratie à deux tours pour les scrutins uninominaux. La France, pays aux plus de trois cents façons de faire du fromage, est aussi une nation qui génère de nombreux partis politiques. Le scrutin à deux tours, qui tend non au bipartisme mais à la bipolarisation, a permis, tout au long de notre histoire démocratique, de combiner richesse et diversité des courants politiques avec efficacité de gouvernement.

Promouvoir un scrutin à un seul tour, c’est prendre le risque de voir la très grande majorité d’élus minoritaires. Cela constitue également un pari ignoble : celui d’accoucher aux forceps – le fameux « vote utile » – du bipartisme. On m’objectera que les Etats-Unis et le Royaume-Uni constituent des démocraties en fonctionnant avec deux grands partis[2. Encore que la lecture des taux de participation aux élections américaines ne m’ont pas fait m’esbaudir lors des trente dernières années.]. Certes. Mais ce bipartisme avait été constitué avec leur démocratie, à leurs débuts, et se trouve donc consubstantiel de leur culture politique. Telle n’a jamais été la nôtre, profondément attachée au multipartisme. Ce dernier doit d’ailleurs être rationnalisé, en évitant la proportionnelle intégrale, laquelle peut aboutir à la paralysie. L’équilibre a finalement toujours pu être trouvé avec ce scrutin à deux tours, uninominal ou de liste. Au premier tour, on choisit ; au second, on élimine. Avec le futur scrutin territorial, il nous sera demandé d’éliminer tout de suite.

Evidemment, on ne peut s’empêcher de penser que la situation de l’UMP d’aujourd’hui, souvent en tête au premier tour mais avec peu de réserves pour le second, motive quelque peu l’opération. On aurait sans doute tort puisque la première expérience aura lieu dans cinq ans, c’est-à-dire à une date à laquelle bien malin peut aujourd’hui prévoir l’état des forces politiques. A part la maigre concession d’un cinquième des sièges accordés à la proportionnelle, il faut davantage y voir la volonté présidentielle de nier, une fois de plus, la culture politique du pays qu’il a pourtant en charge de perpétrer, en copiant, toujours aussi connement que d’habitude, le modèle chéri anglo-saxon. D’autant que, ne nous y trompons pas, les élections locales de 2014 constitueront un galop d’essai pour les futures législatives de 2017. Les promoteurs du nouveau scrutin ne le cachent même pas. Quant à la présidentielle de la même année, pourquoi ne pas non plus faire confiance aux primaires organisées par les grands partis pour suppléer l’habituel premier tour, comme je l’avais déjà expliqué il y a quelques semaines ?

Que Benoît Hamon me pardonne, mais on l’a entendu ces derniers temps sur des sujets beaucoup moins décisifs. Le parti socialiste, en demeurant extrêmement discret sur le futur mode de scrutin à tour unique, croit servir ses intérêts. Il pense que ses positions actuelles lui permettront d’être le gagnant, avec l’UMP, de l’opération. Tout cela rappelle étrangement les lois sur le financement public de la vie politique, « loterie pour les organisateurs de la loterie[3. Droits réservés Chez Alfred. Comprenne qui pourra.] », où les principaux partis s’étaient entendus comme de vulgaires opérateurs de téléphonie, afin qu’aucun nouveau venu ne vienne bouleverser la donne et leur abus de position. Le PS est, à cet égard, aussi coupable que le président de la République. Qu’il se méfie par ailleurs que les Verts ne viennent pas, entretemps, lui souffler la première place de l’opposition.

Car les changements de scrutin n’ont pas toujours profité à ceux qui les initiaient ou les soutenaient, ainsi que le faisait justement remarquer Luc Rosenzweig. Souvenons nous que le PS était en meilleure forme que l’UMP d’aujourd’hui en 2000 soit deux ans avant qu’il ne se fasse chasser du second tour par le Front National. Si un candidat, voire deux, venaient troubler les plans de l’UMPS en 2012, Sarkozy et les socialistes pourraient bien se mordre les doigts d’avoir initié un tel scrutin pour 2014. Il me prend à espérer que les vainqueurs reviendraient, contre leurs intérêts électoraux immédiats, sur cette réforme en rétablissant le scrutin à deux tours. Je rêve ?



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