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« Ceux qui rougissent » ou le théâtre de la fureur

Une mini-série réussie de 8 épisodes, sur arte


« Ceux qui rougissent » ou le théâtre de la fureur
Milla Kuentz et Julien Gaspar-Oliveri, "Ceux qui rougissent" © Melocoton

Dans sa mini-série visible sur Arte, Julien Gaspar-Oliveri rend un vibrant hommage aux cours de théâtre au lycée et à leurs vertus. Fortiche.


Mon premier est un cours de théâtre bouillonnant qui a lieu dans une salle de sport d’un lycée, mon deuxième est une répétition du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare qui n’en est pas vraiment une, mon troisième est la présence d’un prof de théâtre qui va chercher ses élèves autant qu’il semble se chercher lui-même. Et mon tout est une minisérie d’Arte (8 épisodes de 11 minutes) : Ceux qui rougissent, qui a obtenu le prix du meilleur format court au festival Séries Mania de Lille. Et j’ajouterais que mon tout est exceptionnel et vaut que l’on s’y attarde. Cela aurait pu être tout bête et assez banal, et même pourquoi pas simplement réussi. Des élèves option théâtre d’un lycée de province lambda répètent une pièce de Shakespeare. Auraient alors été abordés : leurs rapports au théâtre, la découverte des sentiments et les difficultés liées à l’adolescence. Seulement, la série écrite et mise en scène par Julien Gaspar-Oliveri propose bien plus que tout cela.

Julien Gaspar-Oliveri interprète un prof de théâtre remplaçant qui déboule un beau matin, et qui va tout chambouler. Au début, les protagonistes vont bien sûr commencer par être et faire ce que l’on demande à des élèves d’une option théâtre au lycée en temps normal. La « belle gosse » de la troupe va râler car elle veut garder le rôle principal de la pièce, et la bonne élève va commencer à réciter ce qui semble être la fiche Wikipedia du Songe d’une nuit d’été. Stoop ! On arrête tout ! Nous sommes dans une salle de sport, souvenez-vous, donc le prof demande à ses élèves de se mettre à courir.

– « Mais monsieur, c’est un cours de sport ou un cours de théâtre ? »

– « C’est la même chose ! » leur répond-il.

 Et là nous allons pouvoir commencer à réfléchir…

Une école de la vie

Julien Gaspar-Oliveri, auteur et réalisateur de la série, est lui-même comédien et enseigne l’art dramatique. Il m’a dit avoir commencé le théâtre à l’âge de huit ans, qu’il était nul à l’école et que c’est la pratique de l’art dramatique qui lui a tout appris de la vie, en plus de l’existence des grands auteurs. Par cette série, il veut, en quelque sorte, rendre ce qui lui a été donné.

Je lui ai aussi posé quelques questions sur le casting. Car Julien Gaspar-Oliveri a également réussi l’exploit de constituer un groupe homogène avec des personnalités totalement hétérogènes : « J’ai enfermé les jeunes dans un espace clos, puis je suis rentré, caméra au poing, en hurlant « qui veut vraiment faire du théâtre ? », je me suis intéressé à ceux qui voulaient fuir, à ceux qui avaient pris peur, c’est l’accident qui m’intéresse, de l’accident nait la vérité. » Et dans la série, Dieu sait que jaillissent des accidents heureux. Comme par exemple lorsque le prof (dont on ne connaîtra jamais le prénom) demande à ses élèves d’incarner un de leurs parents, père ou mère. Un jeune homme d’origine africaine se met à imiter sa mère, qui ne cesse de répéter que son fils est un bon garçon, doué, mais qui ne fout rien. Et là, nous ressentons toute l’émotion du gamin, peut-être même une prise de conscience. « C’est par les personnages qu’on fabrique une langue », me dit le metteur en scène.

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Joue-la comme Artaud

Effectivement, tout au long de la série, nous voyons les personnages s’approprier leur propre langage. À travers le corps parfois poussé à bout, la transe, leurs confessions ou les engueulades du prof. Non, nous ne sommes pas dans un théâtre des années 70 comme pourraient le penser ici certains lecteurs. Nous sommes dans une quête de vérité. « Le corps, c’est de la pensée », me dit le réalisateur. Et là, nous pensons forcément au Théâtre et son double d’Antonin Artaud et les personnages pourraient s’exclamer avec le génial poète « fou » : « Quand je vis, je ne me sens pas vivre. Mais quand je joue, c’est là que je me sens exister. » Tout le travail de Julien Gaspar-Oliveri réside dans cette simple phrase. Lorsqu’un jeune auteur de théâtre et de courts métrages, en 2024, vous fait penser à Artaud, je dis chapeau, je dis bravo. « Mec », ne lâche rien ! Dans Le songe d’une nuit d’été – il est vrai que nous finissons par oublier que les jeunes sont censés répéter ce chef-d’œuvre de Shakespeare… – pullulent fées et autres lutins. Chez Shakespeare, le surnaturel côtoie toujours le réel. L’étymologie de fée est « fatum » : destinée, en latin. Et si la destinée des jeunes protagonistes de Ceux qui rougissent, c’était d’avoir rencontré Julien Gaspar-Oliveri ?

Avant de terminer, un dernier mot sur le titre de la série, si beau et intriguant. Il a été trouvé par la mère d’une des actrices de la série, qui s’est exclamée : « Ils ont été choisis parce qu’ils rougissent de l’intérieur ».


Ceux qui rougissent Mini-série en 1 saison de 8 épisodes de 11 minutes disponible sur ARTE jusqu’au 22/02/2024.



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est enseignante.

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