Une guerre « émotionnelle » de tous contre tous qui est déjà « dans les têtes ». Un éclaircissement par la thérapie familiale…
Les violences collectives se préparent pendant des décennies. Les haines montent et sont visibles seulement dans des petits incidents réguliers auxquels on ne prête pas toujours attention. Ces haines et ces préjugés, ces méfiances séparent les groupes, les communautés, en fonction d’une appartenance ethnique, religieuse, mais aussi en fonction des identités collectives ou des idéologies.
La guerre civile qui vient ne se situe pas nécessairement là où certains le croient, entre musulmans et non musulmans, entre les banlieues et le reste de la société. La guerre civile occidentale est à l’intérieur des nations, des peuples, des sociétés. Elle n’est pas seulement ethnique, elle est idéologique ou plutôt émotionnelle. Elle rassemble des personnes qui ont des visions du monde opposées, antagonistes et manichéennes, qui diabolisent l’autre camp et idéalisent le leur, seul censé représenter la vérité.
Cette guerre civile qui selon moi est déjà « dans les têtes » met en confrontation parfois violente des parties de l’opinion publique qui s’opposent effectivement sur la question de l’identité nationale, de l’immigration, de la place de l’islam en Occident mais aussi, surtout depuis la crise sanitaire, sur le rôle que doivent jouer les institutions et la puissance publique.
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Nous avons d’un côté des milieux protégés des conséquences fâcheuses de la globalisation du monde, séduits par l’exotisme du multiculturalisme et demeurant dans des centre villes, bientôt végétalisés et piétonnisés par la grâce de la nouvelle écologie urbaine. Ils envoient leurs enfants dans de bonnes écoles et pensent que le monde qui vient est un monde d’opportunité et de réussite.
Et loin d’eux, dans cette fameuse France périphérique des masses de travailleurs en chute sociale, inquiets d’un avenir qui leur échappe, sans perspective d’amélioration de leur sort, ayant, eux, tout à perdre dans cette globalisation qui leur arrache leur travail et aussi l’identité collective qui faisait, peu ou prou, leur fierté.
La guerre civile est là : entre, d’un côté, ceux qui ont peur qu’on leur arrache ce qui donne du sens à leur vie désormais – leur identité, leur travail, leur tradition, leurs habitudes et leurs civilités – et qui demandent la protection d’une autorité qui les sécurise, les rassure, les reconnaît dans leur identité et, de l’autre, le monde des nouveaux bourgeois.
Mais ce monde des nouveaux bourgeois a aussi ses fractions. Une partie d’entre eux sont des bohèmes relativement pauvres qui n’ont pas peur de perdre quoi que ce soit, parce qu’ils ne possèdent pas grand-chose en dehors de leur capital culturel. Ils attachent plus d’importance à toute autre chose, à leur relation à l’autorité, faite de méfiance et de haine, leur ressentiment à l’égard de tout ce qui représente l’autorité et la puissance, les riches, les capitalistes, la finance, les banques, l’armée, la police. Ce ne sont pas toujours les mêmes groupes qui s’opposent. La haine prend des formes différentes selon les individus et les milieux mais ce qui domine c’est le combat de tous contre tous, sous une autorité qui elle-même est partie prenante de la guerre en cours.
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Oui, les banlieues sont malades de la criminalité et de l’islamisme qui détruisent le sentiment d’appartenance à la nation mais elles sont aussi le « malade désigné de notre société ». Au sens où l’entend la thérapie familiale, le malade désigné est le porteur du symptôme, celui qui manifeste le plus crûment la maladie du système familial. La famille ne veut pas savoir qu’elle est malade et se contente de voir qu’un de ses membres manifeste les symptômes les plus visibles de la maladie. Il en est de même pour le corps social : il ne veut pas reconnaître son état et pense que seules les banlieues sont malades de violence et de pauvreté matérielle ou morale. Mais il n’y a pas que dans les banlieues qu’on montre son désintérêt pour la politique, son scepticisme, qu’on se replie sur sa vie privée, qu’on a le sentiment d’être la victime, souvent avec raison, d’évolutions semblant inéluctables et prises ailleurs. Il n’y a pas que dans les banlieues qu’on se suicide, se drogue, déprime, se réfugie aussi dans des groupes sectaires ou sous l’aile de religions tribales.
Le sentiment d’impuissance existe partout. Dans des milieux plus privilégiés, il porte le nom de cynisme. Ce sentiment d’impuissance, prolongé souvent par une forme ou l’autre de dépression, s’est soigné longtemps par le divertissement ou la consommation mais la crise sanitaire a rendu difficile cet exutoire. Certains tenteront désormais de le soigner par la violence, une violence qui risque aujourd’hui de prendre des formes nouvelles, provenant du bas comme du haut de la société.
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