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CETA: il va encore y avoir du sport!

L’accord de libre-échange, rejeté par le Sénat, reviendra à l’Assemblée le 30 mai


CETA: il va encore y avoir du sport!
L'Allemande Ursula von der Leyen et la Française Valérie Hayer, Strasbourg, 12 mars 2024 © Jean- Francois Badias/AP/SIPA

L’accord de libre-échange, dit CETA, entre l’Union européenne et le Canada, a été rejeté par le Sénat. Mais il « pourrait » s’appliquer même si l’Assemblée nationale le rejette, assure Valérie Hayer, sur France info. Explications.


En pleine élection européenne, voilà une claque pour le gouvernement français. L’accord de libre-échange, dit CETA, entre l’Union Européenne et le Canada, a été rejeté jeudi 21 mars par le Sénat.

Mais, même si la France rejetait finalement le traité, cela ne changerait rien à son application provisoire en réalité. L’Union européenne a en effet inventé un nouveau type de gouvernance qui s’assied sur la souveraineté du peuple et les principes démocratiques avec la complicité des pouvoirs en place. Des accords non ratifiés sont ainsi appliqués et même en cas de rejet par un État, des dispositifs existent pour contourner le problème. Le CETA illustre parfaitement cette dérive.

Le CETA, négocié entre l’Europe et le Canada, supprime les droits de douane sur 98% des produits échangés entre les deux marchés. Mais voilà, en Europe, dix pays rechignent à le signer dont l’Italie, la Bulgarie, la France, la Grèce, la Pologne…

On pourrait donc penser que l’accord ne peut s’appliquer, faute d’avoir été accepté par les parlements des pays concernés. Or ce n’est pas du tout le cas. Dans les faits, le CETA s’applique déjà. 90% des dispositions du texte ont été mises en place et fonctionnent. A titre provisoire. Et bien sûr les premiers démantèlements tarifaires ont concerné les droits de douane.

Vice démocratique

Cette manière de faire, pour être efficace, n’en est pas moins malsaine. En effet cet accord fonctionne depuis 2017 et le moins que l’on puisse dire est que sa non-ratification pèse sur sa légitimité. L’Union Européenne presse donc les États de valider l’accord en bonne et due forme le plus rapidement possible. Le vice démocratique de la situation n’échappe à personne, puisque, littéralement, en absence d’accord un accord est malgré tout appliqué et que ce choix a des implications très concrètes sur les pays et leurs filiales de production. Le déni de souveraineté et de démocratie se manifeste ici en plein jour.

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On pourrait penser que l’inscription à l’ordre du jour du Sénat, de cette loi que l’Assemblée nationale a adoptée de justesse en 2019, est liée à la volonté du gouvernement de régulariser une situation problématique. Eh bien non ! Celui-ci n’a pas de majorité au Sénat et souhaitait éviter que ce type de vote montre à quel point le Roi est nu. C’était sans compter sur le groupe de sénateurs communiste qui l’a inscrit à l’ordre du jour sur sa niche parlementaire, avec la complicité de la droite ! Justement pour qu’il soit rejeté à la faveur d’un vote droite-gauche. Ce qui n’a pas manqué de se produire. Le but était de mettre le président Macron face à son impuissance, de lui rappeler qu’il n’a pas de majorité et que sa tentative d’enchaîner les séquences de commémorations, d’hommages, les selfies et les postures de matamore/chefs de guerre ne trompait personne. La Chambre haute est décidée à user de son pouvoir et le fait avec un certain sens de l’à-propos. C’est également une opportunité pour la droite, majoritaire au Sénat, de rappeler au gouvernement et aux électeurs qu’elle agit et qu’elle peut encore peser, comme la loi immigration l’a déjà montré. Mais surtout : c’est une défaite symbolique aux yeux de tous en pleine élection européenne.

Le mauvais souvenir de la Loi immigration

Pour autant, le texte n’est pas encore rejeté, même s’il a du plomb dans l’aile. Il doit maintenant retourner devant les députés qui ont toujours le dernier mot dans l’adoption ou non d’une loi… Sauf que le gouvernement n’a pas de majorité et qu’à défaut d’avoir beaucoup de marge de manœuvre, il a de la mémoire. Or la dernière fois, avec la loi immigration, il s’est pris les pieds dans le tapis et n’a dû son salut qu’à la complaisance du Conseil d’État. Or ce vote-là s’annonce également délicat et peut susciter une majorité de circonstance droite/gauche comme au Sénat. Les communistes ne l’ignorent pas, qui ont annoncé profiter de leur niche parlementaire pour inscrire, ce 30 mai, le texte à l’ordre du jour de l’Assemblée. Cela promet du sport. En effet, la situation est critique. En théorie, en effet, en cas de rejet du texte par un Etat-membre, la déclaration 20 du conseil de l’Union européenne prévoit la dénonciation de l’application provisoire du CETA.

On pourrait donc penser que, si la stratégie des communistes fonctionne, le refus du parlement français de ratifier le CETA mettrait fin à l’accord. En tout cas c’est ce qui ressort de la lecture de cette fameuse déclaration 20.

Mais une fois de plus ce n’est pas le cas.
En effet, en pratique, un Etat-membre a déjà refusé l’accord. Il s’agit de… Chypre. Et pourtant l’application du traité n’a pas été annulée par l’Union européenne. Comment cela a-t-il été possible ? Eh bien, il a suffi que le gouvernement chypriote ne communique pas à la Commission de notification formelle pour que l’accord continue de s’appliquer. À Bruxelles, la réalité n’existe que si elle est notifiée dans les règles bureaucratiques adéquates… Ainsi, même si le Parlement, autrement dit les représentants du peuple, rejettent l’accord, il suffit de ne pas le notifier pour que le vote n’ait aucun effet. Les dictateurs en ont rêvé, l’UE l’a réalisé et a trouvé le moyen de nier le vote des citoyens. Le peuple est ainsi dépouillé de sa souveraineté par la magie de la procédure. Cette histoire n’est-elle pas exemplaire de ce qui creuse un fossé entre des peuples et leurs dirigeants ? Comment s’étonner, quand on observe une telle comédie, que l’Europe soit contestée et que les pays européens connaissent une crise démocratique sans précédent ?

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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