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Cet été, le roman ne passera pas!

Préférez la chronique, le journal ou les conversations d’écrivains sur la plage…


Cet été, le roman ne passera pas!
Image d'illustration Unsplash

Il y a autre chose que le roman !


Il m’arrive une grosse tuile. L’équivalent d’un accident de travail. Une forme d’incapacité si vous préférez. Je ne peux plus lire de romans. Pour un critique professionnel, c’est pire qu’une luxation du poignet. Je ne peux plus physiquement ouvrir un roman français ou étranger ; psychologiquement la fiction m’est devenue insupportable. C’est grave, docteur ? Serais-je guéri à temps pour la prochaine rentrée de septembre ? Car les livres débordent déjà de ma boîte à lettres. Ils arrivent depuis le printemps dans un flux ininterrompu qui me terrifie. Les personnages m’ennuient, les histoires m’accablent et l’imaginaire des autres me dépriment encore plus que le mien. Le format long est incompatible avec mon humeur changeante. Et cette vénération infantile, presque scolaire, pour le roman cathédrale, comme s’il était le sel de la littérature, son unique moyen de transport amoureux. J’ai parlé de ce problème à un confrère : comment dépasser ce dégoût temporaire et sauver mon emploi ?

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Ce sage de l’édition m’a répondu que je vieillissais tout simplement. Que le roman est l’instrument d’une jeunesse avide d’engranger, par procuration, des expériences ; qu’il est nécessaire à la construction mentale du lecteur en formation ; qu’il est seulement un passage, un rite, l’expression d’un état temporaire mais qu’après s’être nourri d’écrivains mineurs ou majeurs, les deux formant une même école de la pensée, l’esprit vers la cinquantaine aspire à l’ascèse. Qu’avec les années, viennent l’épure des mots et la rigueur du style. Qu’un aphorisme peut suffire au bonheur du critique, qu’une chronique de trois mille signes enchantera bientôt tout un hiver. Que le roman n’est qu’un galop d’essai vers une écriture plus retenue, le chemin vers l’indicible. Que pour bien écrire et dire sa vérité, il faut biffer ses élans nocturnes ; retenir le jet cristallin est le travail de toute une vie. La création, cet art friable et éprouvant, bannit les longueurs assassines. Qu’après bien des efforts et des désillusions, au petit matin, juste quelques mots entrelacés, papiers collés et autres fragments poétiques dégageront autant de force que des centaines de pages reliées. D’autres confrères m’ont alors parlé du plaisir de relire ces fameux romans fondateurs qui cimentent nos bibliothèques, snobisme éculé des gens de notre métier. Coquetterie aussi tapée que les poires de Touraine, cette fausse vérité est plus entretenue par manque d’imagination que par goût sincère du Livre. Elle se veut cultivée, elle n’est que pédante.

Jamais, vous ne retrouverez le suc de la première gorgée ou du premier baiser, cette fébrilité toute absorbée, toute accrochée aux phrases nouvelles qui ruissellent et cascadent dans votre cœur. La chamade ne se reproduira jamais plus. Ces vaines séances de rattrapage et rengaines larmoyantes ne sont qu’une tentative désespérée de retrouver son adolescence disparue. Les journaux ou recueils de chroniques échappent à l’ingratitude du temps alors qu’ils en recèlent le trouble intérieur. Quand ils sont l’œuvre de très grands, maîtres en écriture fine et observateurs désabusés, on s’y ressource avec un bonheur intact, surtout durant l’été. Ils n’ont pas été flétris par les modes idiotes, ils ne s’embarrassent pas de mots inutiles. Ils sont le remède à notre errance balnéaire. Ils n’ont pas la lourdeur des romans à thèmes, ils expriment dans un français souverain nos pensées brouillonnes. Pour ce mois d’août, j’ai choisi quelques figures indispensables, d’abord le Journal de Jules Renard (1897-1910). On y revient toujours tant sa veine pleine d’amertume rurale et de gamineries théâtrales nous comble de félicité. Mille trouvailles, mille portraits, mille aigreurs qui fascinent autant par leur pertinence que par leur onde nostalgique. En cet été 1902, Renard est en verve, il enchaîne les saillies comme à la fin de l’envoi, Cyrano touche :

– « Cocu ». Chose étrange que ce petit mot n’ait pas de féminin. »      

« L’érudition de ceux qui méprisent le Larousse et qui s’imaginent qu’ils n’y apprendraient rien. »

La chronique est également une autre façon de voyager, de prendre « L’Air du pays » avec Kléber Haedens, chasseur en gourmandises teintées de mélancolie et échappées basques. Le 24 août, il écrit : « L’été ressemble encore à un péché capital. Nous entrons à Saint-Sébastien par un jour doré comme une sole frite et c’est pourtant sur l’Avenida de España que nous verrons les premières feuilles mortes ».

À lire aussi, du même auteur : La langue d’Audiard, ma Patrie!

Et pourquoi ne pas visiter Paris dans les pas de Jacques Audiberi (1937-1953), promenade à la gloire des marchés et des travailleurs anonymes. En ce 10 août 1938, dans Le Petit Parisien, il note ceci : « Quai de la Mégisserie et aussi quai de l’Hôtel-de-Ville, devant la Seine, cela caquète, roucoule, pépie, siffle, sifflote, dans un grand tapage de becs – puisque, disait Villon, il n’est bon bec que de Paris ».

Et enfin, laissez vous transpercer par le parfum de cette lointaine Amérique latine dans Conversations à Buenos Aires entre Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato et cette merveilleuse antienne : « Nous sommes tous des poètes de quartier ».

Journal de Jules Renard – Bouquins / Robert Laffont

L’Air du pays de Kléber Haedens – Albin Michel

Paris Fut de Jacques Audiberti – Éditions Claire Paulhan

Conversations à Buenos Aires – Jorge Luis Borges /Ernesto Sabato – 10/18 

Jules Renard : Journal 1887-1910

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L'Air du pays

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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