Science sans conscience…
Nous vivons, avec le règne du bien nommé coronavirus et consorts, une période historique ; non pas au sens où l’entendent les aimables prophètes du “monde d’après” ; mais en ce qu’elle constituera sans doute un cas d’école pour les générations futures, non seulement en matière d’épidémiologie, mais aussi en matière de politique et de psychologie sociale.
Catastrophisme, instrumentalisation de la peur, fascination morbide, palinodies, mesures radicales et inouïes, et parfois grotesques, serments solennels reniés sans la moindre vergogne : les errements de la politique sanitaire sont si nombreux que leur inventaire complet, tâche herculéenne, étourdit d’avance. Tout cela, il faut pourtant en convenir, pour une maladie qui aura causé en définitive un peu plus de morts que la grippe saisonnière classique, et encore, abstraction faite de l’évolution de la pyramide des âges et de la propension manifestement excessive, mais financièrement encouragée, à étiqueter “Covid” tout décès survenu avec un test positif en guise de décoration. Mais nous n’en avons pas encore fini, et la saison prochaine a l’air tout aussi alléchante.
Prenons au hasard Eric Ciotti, qui pour la nouvelle année embrasse la croix avant de voter le passe vaccinal : “je crois à la science et aux vaccins !” clame-t-il, la main sur le cœur. Comme dit l’oncle Fernand, les histoires de famille et les croyances, ça force le respect. Aussi, que Les Républicains votent comme un seul homme l’ultime mesure macronienne, ça ne se discute même pas. C’est tout naturel. Mais que des responsables politiques ignorent à ce point l’histoire des sciences qu’ils n’aient jamais entendu parler, par exemple, du critère de réfutabilité, voilà qui surprend quand même un peu. La science n’est tout de même pas la vérité révélée. Même, elle répugne à être crue sur parole ; elle se démontre et veut qu’on la critique, c’est son allure naturelle ; elle veut soumettre ses conjectures à l’expérience qui pourra les corroborer, les corriger ou les réfuter. La science n’est pas tout unie, achevée et parfaite pour l’éternité. Elle a une histoire, qui est celle de ses découvertes et de ses controverses, parfois violentes, de ses erreurs et même de ses fraudes. Depuis deux années de coronavirus, nous sommes d’ailleurs aux premières loges pour assister au spectacle : épidémiologistes, virologues, urgentistes, psychologues – et même, bien qu’on se demande un peu ce qu’ils font là, urologues et neurologues – s’écharpent assez vigoureusement. Les uns traitent les autres de charlatans, d’incompétents, de crétins, et on se traîne devant le conseil de l’ordre. Quelques naïfs ont d’ailleurs marqué leur surprise : comment, tous ces messieurs de la Faculté ne sont donc pas d’accord entre eux ?
L’exécutif emploie des méthodes fourbes plutôt que d’imposer la vaccination obligatoire
Dans un pays qui a rendu l’école obligatoire jusqu’à seize ans, on mesure à quel point l’Éducation Nationale a failli à sa tâche : au lieu d’aiguiser le sens critique, elle semble au contraire avoir annihilé parfois tout bon sens. Mais tout n’est pas perdu : Le Malade imaginaire est au programme du baccalauréat depuis 2020 (les littéraires sont restés taquins).
Bref, croire à la science, c’est bien beau, mais laquelle ? Celle qui a le plus d’argent ? De même pour les vaccins : certains ont fait leurs preuves, c’est parfaitement entendu ; mais une question demeure : quels vaccins ? et pour qui ? Dans certains pays aussi arriérés que l’Angleterre, pas un seul vaccin n’est obligatoire. Il paraît que c’est contraire à leur constitution. Mais nous, Français, qui vivons sous le régime de onze vaccins obigatoires avant l’âge de deux ans, nous savons bien qu’il est absolument impossible d’exister en ce monde sans un carnet de vaccination dûment tamponné. Et nous serons donc sans doute les plus acharnés à trépigner pour en obtenir un douzième. Las, le gouvernement, allez savoir pourquoi, récalcitre. Plutôt que d’édicter une obligation en bonne et due forme, il a préféré des moyens plus fourbes.
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C’est peut-être qu’il n’ignore pas que des dizaines de scandales sanitaires ont émaillé le dernier siècle – en vrac et parmi les plus célèbres : distilbène, chlordécone, hormone de croissance, dépakine, isoméride, médiator, opioïdes (la liste n’est pas close) ; et s’il a fallu souvent plusieurs décades pour faire reconnaître la dangerosité de ces traitements et les retirer du marché, ou dûment réduire leur indication, la justice est finalement passée. Le gouvernement sait aussi que les plus grands laboratoires ont déjà été condamnés à de multiples reprises, à des sommes qui dépassent l’entendement du commun des mortels, pour publicité mensongère, corruption, fraude. Aussi croit-il peut-être un peu moins dans la science qu’Eric Ciotti, et considère-t-il que toutes les responsabilités ne sont pas bonnes à prendre.
En même temps, la vaccination intégrale de la population reste un totem. On a beau constater que la vaccination contre le coronavirus ne modifie pas la dynamique de l’épidémie, n’empêche pas de contracter le virus, ni de tomber malade, ni de contaminer les autres ; on a beau savoir que l’écrasante majorité des victimes de cette maladie sont des personnes âgées et malades, ou obèses, ou diabétiques, et non Monsieur Tout-le-monde ; on a beau observer que le dernier variant en date fait fort peu de victimes : le gouvernement s’obstine. Nul ne doit échapper à la vaccination ! Et les malheureux qui ne cèdent pas aux sirènes du vaccin, il s’agit de leur “rendre la vie impossible”, de les “emmerder jusqu’au bout” pour citer Macron dans le texte, en les bannissant de toute vie sociale, en leur interdisant même de produire un test négatif. Le gouvernement tient sans doute à ce que les personnes vaccinées se contaminent exclusivement entre elles.
Fabrication d’un bouc émissaire
En tout cas, il ne ménage pas sa peine et chaque jour apporte son lot de vindicte publique déversée sur la tête des odieux individus “enkystés” dans leur “délire”. Pourtant la directrice de l’ANSM, Christelle Ratignier Carbonneil, est venue témoigner devant le sénat, le 1er décembre dernier, que le nombre de déclarations d’effets secondaires sur les seuls vaccins contre le coronavirus s’élève à 110 000 à la mi-novembre, contre 45 000 sur la même période pour tous les autres médicaments confondus. Laurent Mucchielli avait déjà alerté sur ce point il y a quelques mois en épluchant, de son côté, les données américaines – dans un article aussitôt censuré par Mediapart. Ceux qui ne font pas partie des personnes fragiles particulièrement menacées par le coronavirus semblent donc, après tout, avoir quelques raisons de s’interroger au sujet de la balance entre risque et bénéfice. Ils ne sont pas plus délirants et enkystés qu’Olivier Véran avec le port du masque en extérieur et la vaccination intégrale pour unique horizon. Ils n’ont simplement pas tout à fait la même appréciation que lui de leur cas personnel.
Quoi qu’il en soit, notre gouvernement n’est jamais à court d’idées. Puisque les faits ont démenti l’argument de la vaccination altruiste, puisque la promesse d’un retour à une “vie normale” n’a pas suffi à séduire tout le monde (on appréciera le fait que présenter un passeport pour aller boire un café, prendre le train ou se rendre au cinéma puisse être qualifié de “vie normale »), on invoque désormais l’engorgement des hôpitaux. En effet, et c’est heureux, l’échec du vaccin n’est pas total : il s’avère qu’il réduit, quand même, le nombre de formes graves de la maladie. On peut donc accuser les personnes non vaccinées d’être surreprésentées parmi les malades gravement atteints. Reste que les institutions les plus dignes de foi ont révélé qu’en 2020, alors que nul n’était vacciné et que le coronavirus et ses avatars étaient nettement plus vigoureux qu’aujourd’hui, cette maladie n’avait représenté en réalité que 2% de l’activité hospitalière. Comment, dans ces conditions, croire qu’aujourd’hui les malades parmi les 10% de personnes non vaccinées seraient, à eux seuls, responsables d’une insupportable surcharge ? Quelque chose coince dans cette machine arithmétique.
En outre, si vraiment on était prêt à tout pour éviter que les services de réanimation ne soient débordés, on aurait renforcé les capacités hospitalières, et encouragé la prescription de traitements précoces : si ce ne sont pas des panacées, ils devraient néanmoins pouvoir rendre quelques menus services et réduire tant soit peu, eux aussi, le développement de formes graves de la maladie. Ne serait-ce qu’en comptant sur le fameux effet placebo, qui n’a rien de négligeable (bien des médicaments n’ont qu’un rendement à peine supérieur), cela vaudrait la peine d’essayer. Mais non, au bout de deux ans, et c’est à peine croyable, on continue à renvoyer les malades chez eux avec une boîte de paracétamol. La prescription d’azithromycine, couramment utilisée depuis des années dans le traitement des infections pulmonaires et qui faisait partie de divers protocoles de traitement précoce du coronavirus, est même tombée elle aussi, le 14 décembre dernier, sous le coup de restrictions draconiennes. Surtout, ne rien tenter d’autre qu’une vaccination, quand bien même elle s’avère peu efficace. C’est un mantra comme un autre.
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Tout de même, depuis deux ans, la raison peine toujours davantage à se satisfaire de la politique sanitaire voulue par Emmanuel Macron. Pire : depuis plusieurs mois elle assiste, médusée, à la fabrication d’un bouc émissaire, contre lequel les mots sont toujours plus violents. Accusées d’être des égoïstes, des complotistes, des imbéciles sous-diplômés, des assassins même, les personnes non vaccinées sont maintenant désignées par le doigt présidentiel comme indignes du statut de citoyen. L’idée est violente ! bien plus violente que le verbe fleuri que tout le monde répète d’un air bégueule. Et le résultat de tous ces beaux discours est intéressant : on entend des grands patrons jurer qu’ils sont tout prêts à interdire leurs avions, leurs entreprises, et même l’accès à leurs supermarchés à la vermine non vaccinée. Bientôt des ghettos peut-être ? Une famine organisée ? On entend des médecins, dans les médias et les couloirs des hôpitaux, dire haut et fort que ces crétins ne devraient pas être remboursés des soins qu’on leur prodigue (bien qu’ils aient cotisé pour cela toute leur vie), voire qu’ils méritent d’être abandonnés à leur triste sort s’ils tombent malades, parce qu’ils prennent, salauds de malades ! la place d’un autre. Bref, en marche ou crève !
Mais si l’on suit ce genre de raisonnement, on devrait aussi renvoyer à leurs pénates les fumeurs atteints d’un cancer du poumon, les buveurs invétérés dont le foie enfle en cirrhose, les femmes qui toute leur vie ont avalé la pilule et sont frappées d’un cancer du sein, les sportifs blessés ou accidentés, ces grandes buses, sans oublier les vaccinés victimes d’effets secondaires, qui l’ont bien cherché, eux aussi. Tous ces gens ne font qu’encombrer les hôpitaux. Ah ! ces bons docteurs ! quel sacerdoce que de soigner des gens qu’on méprise ! Est-ce seulement possible ? Nul doute que si leurs malades étaient plus dignes de leur estime, ils les guériraient bien mieux !
À la vérité, depuis deux ans, la raison a beaucoup souffert, et le cœur aussi, car nous n’oublions pas les vieillards emprisonnés pendant des mois dans leur chambre, et les petits enfants privés de visage à l’école. Mais notre étonnement n’en finit pas de grandir, lorsqu’on voit un gouvernement français se risquer ainsi à la fabrication d’un bouc émissaire, et sans honte attiser les passions mauvaises de certains individus tout prêts à mordre s’ils sentent que leur maître les y encourage. On sait ce qu’il en est, on l’a lu dans les livres d’histoire. Mais observer le phénomène de ses yeux, c’est autre chose : on a presque davantage encore de mal à y croire ; on en reste surpris. Ce ne sont plus de lointains inconnus d’époques reculées, d’étranges et vagues silhouettes appartenant un passé heureusement révolu, c’est votre président, votre ministre de la Santé, votre voisin, votre médecin, votre belle-mère qui du jour au lendemain, sûrs de leur bon droit, se transforment en personnages implacables et grimaçants. On peut toujours appeler cela une société de vigilance : le mot est très joli, mais ce qu’on nous concocte est une société policière où chacun peut contrôler tout le monde et où il devient du meilleur ton de cracher son mépris le plus violent contre… contre qui, au fait ?
Qui sont ces fameux récalcitrants qu’on voue aux gémonies ? Eh bien, pour en avoir rencontré quelques-uns, figurez-vous de simples honnêtes gens, qui travaillent, qui élèvent leurs enfants de leur mieux, qui n’ont généralement jamais enfreint la loi ; des hommes et des femmes qui paient leurs impôts, qui n’ont jamais fait de mal à personne, et qui s’octroient simplement, privilège insensé, la liberté de penser et même de douter, dans une certaine mesure, de la pertinence des recommandations sanitaires d’un gouvernement qui n’a démontré ni sa lucidité, ni son efficacité, ni son honnêteté en la matière. Ce sont ces gens qu’on vilipende et qu’on relègue, qu’on isole ; et ce n’est pas rien, quand on sait que l’isolement est l’une des toutes premières causes de dépression et de suicide. Ce sont eux qui, pour certains, se voient interdits d’exercer le métier auquel ils ont consacré leur vie et leurs efforts, eux qu’on prive de leurs revenus. C’est contre ces gens-là que le gouvernement concentre toutes ses forces, sans s’aviser qu’il rend également la vie pénible à tous ceux qui, vaccinés, ne goûtent guère la société de vigilance, et pensent comme Montesquieu : c’est une ennuyeuse maladie que de conserver sa santé par un trop grand régime.
D’ailleurs, personne ne semble s’aviser que ces braves gens qui n’ont pas cru bon de recevoir l’onction vaccinale rendent service à la science, et à toute la société. Ne faut-il pas, dans toute expérimentation, constituer un groupe témoin ? Si l’on veut mesurer, selon une procédure réellement scientifique, les effets bénéfiques ou nocifs de ces nouveaux vaccins à court et à long terme, les 10% de non-vaccinés ne sont-ils pas absolument indispensables ?