La campagne aura-t-elle enfin commencé quand vous lirez ces lignes (c’est-à-dire quelques poignées d’heures avant sa clôture) ? A l’heure où je les écris en tout cas (lundi, 20 heures et des brouettes), cette campagne semble s’affirmer comme l’une des plus plates et des plus arides qu’il m’ait été donné de traverser dans toute ma carrière d’électeur (en 1969, je n’avais malheureusement pas l’âge requis pour trancher entre Poher et Pompidou).
La moisson de moments forts, de grands choix programmatiques et de petites phrases historiques fut particulièrement pauvre – que dis-je, en dessous du seuil de pauvreté intellectuelle.
Côté distractions, la campagne télévisée officielle nous a quand même proposé quelques nouveautés pittoresques. L’UMP a importé des Etats-Unis non seulement son nouveau « modèle français », mais jusqu’à la technologie de pointe du « lip-dub ». Grâce à un procédé magique, dans les clips de l’Union pour un Mouvement Populaire, le peuple tout entier a la voix de Xavier Bertrand (ou parfois de Michel Barnier). Epatant, non ? Mais quel est donc le message : « On a tous en nous quelque chose de Xavier » ? Dans les clips du PS, nettement plus traditionnels, on s’y retrouve mieux aussi : Mme Aubry et les masses populaires parlent séparément, comme dans la vraie vie.
Il faut voir aussi le spectacle que nous offre bénévolement le Parti radical de gauche – dont on est déjà content de savoir qu’il existe encore : de Servan-Schreiber en Tapie, on le croyait enterré mille fois ! Eh bien pas du tout, la preuve : tous les jours que Dieu fait, le président du PRG Jean-Michel Baylet (qui, heureusement pour lui, a d’autres occupations) vient nous réexpliquer en long et en large comment et pourquoi il ne participera en aucune façon à ce scrutin… Un grand moment d’absurde monty-pythonien.
Blague à part, et renseignements pris, du fait de sa (sur)représentation parlementaire, la barque fantôme que conduit d’une main ferme J.-M. Baylet bénéficie du même temps d’antenne que les plus grands des partis réellement existants. Eh oui, la démocratie représentative est une chose rude, il faut pour la comprendre avoir fait des études.
Reste – et c’est l’essentiel ! – qu’elle est quand même moins hasardeuse que la prétendue « démocratie directe » ! Qu’on se souvienne seulement, à cet égard, des votes désastreux des Français en 1992 et 2005, lorsqu’ils ont été bêtement consultés sur la délicate question européenne – dont, à l’évidence, seuls des Européens professionnels sont à même de saisir toutes les subtilités.
Bref, mieux vaut donner la parole au sieur Baylet qu’au peuple français : quand on ne dit rien du tout, au moins n’insulte-t-on pas l’avenir comme l’ont fait – sans vergogne et à deux reprises ! – les ennemis de l’Europe, tous populismes confondus (Je suis chaud, là !)
À ne pas manquer enfin, sur vos écrans plasma, l’étonnante prestation du leader charismatique de l’ »Union des Gens » (mais oui !). Il vient, d’assez mauvaise grâce apparemment, nous présenter avec une absence de conviction contagieuse les grandes lignes de son programme, à peu près aussi précis que le nom de son particule (élémentaire). Jacques Cheminade était quand même plus clair !
Pour être tout-à-fait juste, hors les émissions officielles, cette campagne a quand même été marquée par deux événements majeurs.
À droite le récent coup de colère de Nicolas Sarkozy était, il est vrai, sans aucun rapport avec la campagne européenne – dont le Président a d’ailleurs confié la responsabilité à son Premier ministre (François Fillon). Simplement, il a tapé du poing sur la table en découvrant les vrais chiffres de l’insécurité (qui pourtant font assez souvent la une du Point et de L’Express…) Et d’énumérer avec énergie la liste des mesures à prendre d’urgence dès qu’il sera au p… euh, enfin tout de suite. Bref c’était beau comme un discours de candidat au poste de ministre de l’Intérieur, qui malheureusement n’existe pas. Enfin je veux dire pas la fonction, l’élection à ce poste quoi.
À gauche, seuls les cœurs les plus endurcis auront pu retenir une larme en assistant aux chaleureuses retrouvailles de Martine et Ségolène. Un temps éloignées par une divergence de vues sans gravité sur la répartition des postes au sein du parti, les deux grandes dames du PS se sont réconciliées avec d’autant plus de bonheur après dissipation des brumes du congrès de Reims.
Désormais les choses sont claires, et chacune a trouvé sa juste place dans ce jeu de rôles permanent qu’est devenue la vie interne du PS depuis que Mitterrand, ce sadique, avait laissé la maison à Jospin. N’empêche, tout semble être rentré dans l’ordre : Martine croit tenir l’appareil du parti, Ségolène est persuadée d’en incarner l’âme, et tout le monde est content : l’unité du PS est sauvée, au moins jusqu’à lundi.
Je n’ai pas parlé du fond, direz-vous ? Peut être bien, mais c’est pas moi qui ai commencé…
Et puis d’ailleurs si, à la réflexion, je l’ai effleurée, la principale question de fond : d’où pourrait bien venir cette abstention massive au scrutin européen de dimanche, déjà annoncée et commentée par tous les sondologues ?
J’irai même jusqu’à esquisser un début de réponse : et si les électeurs avaient fini par remarquer qu’en volapük européen, leur « non » se traduit systématiquement par « oui » ? Et s’ils s’étaient laissés aller à en inférer que, tant qu’à être pris pour des patates de canapé, autant rester couchés ?
Mais je suis confiant : nos élites seront bien capables de lire, même dans une abstention record, les prémices d’une aube nouvelle de la « construction européenne »… Et aux dernières nouvelles, le pire devrait être évité : malgré la multiplication des listes, les observateurs espèrent que le nombre de votants dépassera celui des candidats.
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