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Cespedes, post-philosophe in the poste


Cespedes, post-philosophe in the poste
Vincent Cespedes
Vincent Cespedes

En tant que travailleur non-gréviste, j’estime avoir des droits. Et nombreux en plus. En particulier le droit de voir dans le poste des émissions à vocation plus ou moins culturelles qui me disent des choses censées, voire même intéressantes lorsque je reviens d’une longue journée passée au bureau, puis dans les transports perturbés. Mais depuis qu’un ahuri qui se prétend philosophe et écrivain, je veux dire Vincent Cespedes, squatte mes plateaux préférés, celui de Franz-Olivier Giesbert sur la « deux » et celui de Frédéric Taddei sur la « trois », ce n’est plus le cas du tout.

Cespedes, un homme de l’après

L’ami Vincent est un beau gosse, c’est indéniable. Il aime à faire pétiller pour nous (enfin surtout pour ma femme j’imagine) ses jolis yeux mouillés qui brillent sur l’écran de tous les feux de sa vanité, et Dieu sait s’ils sont nombreux. Mais quant à dire quelque chose d’intéressant, non, il n’en est pas là, ou alors exclusivement malgré lui. Certains ont prétendu que Cespedes était à la philosophie ce que Brice de Nice est au surf, une pure virtualité, au mieux un horizon d’attente. C’est trop dire ou trop peu. Cespedes est un homme de l’après, je veux dire du poste (de télé) et du post (de la philosophie), c’est un tard venu qui compense avantageusement par une barbe impeccable sa parfaite absence de complexe, et de concept. Les complexes, c’est bon pour les cathos coincés (un pléonasme) et les concepts c’est bon pour Kant, et Kant c’est moisi et ça sert à rien pour pécho les meufs (encore un pléonasme).

Plutôt que de perdre son temps à critiquer la raison pure, Cespedes a récemment mis sur le marché, L’Homme expliqué aux femmes, une version, estampillée philo mais tout aussi creuse, du best-seller niaiseux Les Hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus. Et Cespedes lui, d’où vient-il ? Nul ne le sait, même si chacun peut voir où il va : n’importe où, mais vite. Cours, Vincent, cours !

Internet : et l’homme se leva du canapé

Oui, je sais, je suis un aigri, et un jaloux en plus, qui voudrait pouvoir pérorer à la place de Cespedes à la télé. C’est pour ça que je dis du mal, je sais, je sais. Oui, mais moi, contrairement à vous, je sais aussi pourquoi Internet a été inventé et, par conséquent, pourquoi je suis là parmi vous. C’est pas du tout afin d’améliorer la qualité des communications de l’armée américaine, ou pour diffuser la post-culture jusque dans des zones qu’elle avait jusque-là épargnées, ou dans je ne sais quelle autre bonne intention. Non, c’est beaucoup moins glorieux que tout ça. Un jour, le consommateur avachi sur son canapé en a eu marre que le poste ne lui réponde pas quand il se répandait en invectives narquoises contre ses présentateurs préférés. Il avait beau agonir la dame de la télé, elle restait souriante, d’une impassibilité christique face aux avanies. C’était rageant… Lorsque Internet est arrivé, l’homme s’est levé du canapé (à l’ahurissement inquiet de sa progéniture et de son épouse), mais il s’est vite rassis (au soulagement de tous) devant un autre écran, celui de son ordinateur, et s’est mis à insulter par écrit l’homme de la télé, ou de la radio, ou plus souvent encore celui de l’assemblée nationale et du gouvernement. Et ô miracle, l’homme de la télé, de la radio, etc., l’a entendu ! Il a même eu l’air peiné parfois. L’interactivité était née, et avec elle l’intelligence collective, et le journalisme citoyen, et plein de belles autres choses dans le même genre. Le moteur du développement d’Internet, c’est la vengeance et le ressentiment. Alors laissez-moi tranquille avec votre aigreur, bien sûr que je suis là pour me défouler, comme tout le monde.

Mais revenons à notre mouton émissaire, l’ami Cespedes. Vincent a écrit dans son ouvrage de référence[1. Je déconne, il est des fois où le risque d’être mal compris est trop grave.], Mai 68, la Philosophie est à la rue, pardon, dans la rue : « Le sexe de mai est philosophique. lâcher-prise sensuel clashant d’abord et avant tout l’amour institutionnalisé : rôles sexuels, famille patriarcale, non-dits, carcans… n’y voir qu’hédonisme et arithmétique des jouissances, c’est donc passer à côté. »

Personnellement, en tant que non-philosophe ayant fait quelques études de philosophie, je trouve donc ce donc merveilleux, un pur chef-d’œuvre post-philosophique à lui tout seul.

Dans ce même ouvrage, Cespedes, visiblement en forme, a aussi écrit, et je vous jure que c’est vrai, on peut le vérifier aisément à la page 277 de l’ouvrage en question, quatrième paragraphe :

« C’est au nom de l’ici-et-maintenant que Mai refuse le réformisme et les élections, comme les migraines et les dépressions. Sa philosophie : intensifier le présent grâce au mélange humain, pour que la vie change here and now, sans préavis, immédiatement. J’aimerais conclure sur l’urgence, à mes yeux, d’une telle conversion. »

C’est au nom de l’ici-et-maintenant
Que Mai refuse le réformisme et les élections,
Comme les migraines et les dépressions.
Sa philosophie : intensifier le présent
Grâce au mélange humain,
Pour que la vie change here and now,
Sans préavis,
Immédiatement.
J’aimerais conclure sur l’urgence,
À mes yeux,
D’une telle conversion.

C’est encore mieux en vers, non ? Ça sonne presque Minimum Respect. Est-ce qu’il ne serait pas un peu aussi post-poète sur les bords du PAF, notre post-philosophe ? Il faudrait quand même lui dire que les mélanges, même humains, ça craint pour les migraines.

Mais soyons sérieux un instant. Pour que la vie change here and now, il faut donc se convertir. Au risque des pires malentendus, cette prose a (presque) de quoi plaire au (post ?) chrétien que je suis. Vince, tu ne trouves pas que ça limite-limite, cette prose crypto-catho ? Il faut vite lever cette ambigüité mortifère pour ta nonpensée et pour ta visibilité médiatique. Vince, tu m’écoutes ?

Non, tu ne m’écoutes pas, je sais que tu ne m’écoutes pas, malgré toute l’interactivité du monde. J’ai pourtant une hypothèse à te soumettre pour conclure moi aussi. Vincent, tu n’es pas un homme, même expliqué aux femmes, tu es un personnage de roman. Et je sais même de quel roman. Tu es un personnage inventé par François Taillandier. Dans le dernier tome de sa Grande Intrigue, Time to turn, Taillandier s’attarde sur un mot d’ordre apparu comme par magie, qui appelle l’humanité à prendre un grand tournant pour enfin entrer dans la légèreté de l’après. Vincent, tu es le premier homme de l’après, celui qui répond à l’impératif du grand changement avant tout le monde, le bon petit soldat de la (post)modernité.

Mais à la lumière de Taillandier, on pourrait quand même reprocher au post-philosophe sa pusillanimité : ce n’est pas à se convertir qu’il y a urgence aujourd’hui mais, soyons précis, à prendre un turn. En plus de sonner catho-coincé, la conversion ça sonne affreusement vieille France (car Vincent, toujours volontaire pour les causes gagnées d’avance n’hésite pas à l’occasion et comme il se doit à s’en prendre aussi « au brave Français […] dans sa Francitude »). Il te faut donc aller plus loin, beaucoup plus loin, Vincent. Pourquoi en rester à l’obsolète langue française alors qu’on peut oser le turn dans la novlang anglo-américanisante. Tu as d’ailleurs déjà pris ce virage, tu es on the right track. Here and now, time to turn ! Vince, you hear me ?

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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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