Toutes victimes, tous coupables. Si vous êtes une femme, cherchez bien, vous avez forcément souffert – si ce n’est d’agression ou de harcèlement, d’injustice salariale ou de partage inéquitable des tâches ménagères. Vous devez dénoncer. Et si vous êtes un homme, vous avez forcément dérapé – si ce n’est par la violence, par des regards ambigus ou des pensées égrillardes. Vous devez payer. Dans le monde déprimant des nouvelles féministes[1. Je sais, il y a aussi des hommes mais il paraît que le masculin qui l’emporte, c’est ringard.], à la fois plaintives et vindicatives, le ressentiment des unes ne peut se satisfaire que de la destitution des autres. Pas de quartier, pas de prisonnier[2. Que Richard Malka me pardonne de lui emprunter sa devise.]. Roman Polanski a échappé à la Justice américaine, il n’échappera sans doute jamais aux griffes des ligues de vertu qui prétendent redresser tous les torts faits aux femmes hier aujourd’hui et demain. En renonçant à présider les Césars, il les a au moins privées du plaisir d’exhiber sur tous les écrans leur haine bardée de bonne conscience.[access capability= »lire_inedits »]
Il ne fait aucun doute, y compris pour lui-même, que Polanski a gravement fauté, en 1977, lorsqu’il a eu « des relations sexuelles illégales » avec une jeune fille de 13 ans. S’il a fui les États-Unis après avoir accepté de répondre de son acte, c’est parce que l’acharnement d’un juge pouvait lui faire passer sa vie en prison. De plus, juger le Polanski de 1977 à travers le prisme de la morale collective de 2017, c’est oublier le contexte – la Californie, la drogue omniprésente, un cinéaste tenu pour sulfureux et une libération sexuelle où l’on croit bêtement possible de jouir sans entraves. C’est aussi l’époque où, en France, de grands esprits plaident pour la libération des amours interdites, y compris avec des enfants. On peut se réjouir que les temps aient changé – même si la mutation punitive de l’esprit 68 a de quoi attrister ; les condamner a posteriori n’a aucun sens.
Le spectacle des victimes par procuration est d’autant plus terrifiant que la victime, elle, a pardonné. Mais qu’importe une femme concrète quand on parle au nom de toutes les femmes ? Nos matrones ont donc pétitionné à tout va, proclamant que le choix des Césars était une insulte à toutes les victimes de viol.
Encouragées par l’impayable Laurence Rossignol, ministre des Familles, des Femmes et des Enfants (un beau programme), une flopée de boutiques féministes aussi bruyantes que groupusculaires a donc réussi à priver le public des Césars de la présence d’un grand cinéaste âgé de 83 ans. Drôle de victoire. On dira que Polanski s’en est tiré à bon compte. Reste que cette traque qui ne s’épuise pas, quarante ans après les faits, est symptomatique du climat pesant dans lequel voudraient nous faire vivre une poignée d’activistes vengeresses grâce à la complaisance d’un grand nombre de journalistes. Parmi ces derniers, beaucoup ironisent volontiers en privé sur les âneries qu’ils révèrent prudemment en public. Ils ont raison : aujourd’hui, l’accusation de sexisme peut briser une carrière aussi sûrement que celle de racisme.
Pour ces dames patronnesses et leurs comparses masculins, les rapports entre les sexes ne se déclinent que sous les espèces d’une guerre sans cesse recommencée, mais dépourvue de toute potentialité érotique. Toute femme doit savoir que tout homme est, au mieux un concurrent déloyal, au pire une menace. Ainsi voit-on régulièrement revenir à la une des appels à la mobilisation contre le fléau du moment : inégalités salariales, harcèlement dans la rue ou au travail, violences conjugales, chacune est sûre d’avoir un motif de se sentir lésée. Laurence Rossignol a par exemple annoncé en septembre 2016 un Plan d’action contre le sexisme qui consiste essentiellement, semble-t-il, à faire appel aux témoignages. On se sent presque minable de ne pas avoir d’expérience effroyable à raconter.
Il ne s’agit pas de minimiser la gravité des agressions ou des injustices subies par les femmes, au contraire. C’est en prétendant qu’elles constituent le lot quotidien de toutes les femmes de France qu’on relativise leur gravité. Et aussi en établissant un fil continu allant du regard égrillard à la violence. À prétendre qu’une blague est aussi humiliante qu’un viol, on finira par penser qu’un viol est aussi dérisoire qu’une blague.
Quand la défiance est la norme, on ne saurait s’étonner que certaines confondent séduction et agression, comme cette jeune fille qui s’est plainte à la direction d’Orange après avoir reçu un charmant texto du technicien qui sortait de chez elle : tout en s’excusant pour la gêne, il avouait l’avoir trouvée jolie – quelle insulte. « Rendez-vous compte, il avait accès à mes données personnelles », a expliqué la fille, ce qui doit signifier que le gars avait son numéro de téléphone. Tout ce foin pour un épisode qui se répète depuis la nuit des temps – une femme plaît à un homme, il se débrouille pour la retrouver et tenter sa chance –, parfois, on aimerait arrêter le progrès.
Justement, dans cette affaire, la hargne féministe est tombée sur un os : la plupart des femmes réelles ne sont pas prêtes à sacrifier les délices de la différence et les tourments de la séduction sur l’autel de l’égalité – qui n’en exige pas tant. Sur les réseaux sociaux, la prétendue victime en a pris pour son grade – même Charline Vanhoenacker s’est payé sa tête. Bonne nouvelle : si certaines détestent les hommes, elles n’ont pas réussi à en dégoûter les autres.[/access]
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