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César J- 31: acteurs, je vous aime!


César J- 31: acteurs, je vous aime!
Marina Foïs présentera la cérémonie le 12 mars prochain © Sabine Villiard / Canal+

Et si les vertus du silence étaient le socle des longues carrières…


Dans un mois exactement, la cérémonie des César 2021 donnera ses bons points de citoyenneté aux élèves méritants et tancera vivement les autres. Tous ceux qui ne s’agenouillent pas devant ce spectacle devenu trop sérieux, trop sentencieux, trop expiatoire au fil des années, seront considérés comme des ennemis de classe. Au piquet ! Chaque mois de février, la cohorte des réfractaires grossit. L’épuration ne connait pas la crise. Plus le cinéma nous fait la morale, plus le public boude son plaisir. Les tableaux d’honneur et les médailles ont été inventés pour les bons élèves et les militaires. Celui qui n’accepte pas la rupture disait un ancien président de la République, une certaine forme de marginalité, ne peut prétendre appartenir à cette grande famille. Être saltimbanque, ça coûte cher et ça n’autorise pas tout. C’est une question de principes, de décence aussi. Les acteurs sont des dissidents, par nature. Nous n’attendons pas d’eux qu’ils nous guident par une parole souvent déplacée et vaine. 

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Agit-prop et redcarpets…

Voilà que maintenant ils se transforment en instructeurs, en agents de maîtrise, en agit-prop des redcarpets. La chefferie les égare. La rééducation est devenue leur nouveau petit livre rouge. Un crédo comme un autre. Un segment de marché. Ils n’ont pas beaucoup de mémoire car les derniers d’entre eux qui ont voulu s’immiscer dans le débat public, souvenez-vous des voyages là-bas, dans le Grand Est, en pleine guerre froide, ont mis des années à faire oublier leurs prises de position caduques et à laver leur honneur. Il y a danger à participer à cette foire aux vanités où s’épanouit son lot habituel de règlements de comptes. Nous, le public, grand prince, acceptons cette part de ridicule jusqu’à un certain point. Oui, nous sommes magnanimes. Qui sommes-nous, en fait, pour juger leurs errements et leur désir d’exister sur la scène médiatique ? Nous avons bien conscience que la concurrence qui sévit dans ce milieu pèse sur leur moral et perturbe leur santé psychologique. Les salles de cinéma sont fermées, les carrières de plus en plus difficiles à solidifier et les places libres, rares. Alors, on choisit la facilité, on parle de sujets sociétaux dans le vent, on se fait bien voir par les médias mielleux, on accorde des interviews où l’on n’évoque même plus son rôle, son jeu, la qualité de ses partenaires ou du réalisateur, on gagne des minutes de célébrité en bombant sa morale, en se victimisant, en se caricaturant aussi, et on finit par promotionner son image en oubliant les valeurs cardinales de son métier. Sa beauté éphémère et l’envoûtement par la fiction. En vendant à la découpe sa personne, en faisant commerce de son égo, on court à sa perte. 

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Dans un pays où les acteurs talentueux sont nombreux, je comprends que certains choisissent la pseudo-voie politique pour consolider une activité économique fragile. C’est parfois drôle et émouvant de naïveté, souvent pathétique et énervant de conneries. Épuisant même. Car nous avons tous en tête la formule de Jean Gabin : « C’est bath les acteurs ! ». On vous aime sincèrement. Alors, quand on vous voit vous lancer, vous engager, on a peur pour vous et honte. Chacun mène sa carrière comme il l’entend, à coups d’invectives et de génuflexions, mais le simple observateur de cinéma que je suis, vous conseille de regarder dans le rétroviseur et vous inspirer de vos pairs. De leur discrétion et leur absence totale d’embrigadement. Ils fuyaient comme la peste, les camarillas et les cellules de partis. Ils étaient trop intelligents et trop insoumis pour se vautrer dans le déballement. Nous avons été élevés par la génération du Conservatoire, les Belmondo, Marielle, Cremer, Fabian ou celle du TNP, les Noiret, Chaumette, Denner ou Wilson. Ces artistes-là, mot qu’ils réfutaient en bloc, ne haussaient ni le ton, ni le menton. Nous n’allions pas à confesse en leur compagnie. Seule leur image filmée donc transfigurée comptait à leurs yeux, leurs opinions politiques ou alimentaires ne nous concernaient pas. Ils nous faisaient grâce de leurs dysfonctionnements intérieurs. Plus ils se taisaient, plus on souhaitait leur ressembler, toucher leur élégance et s’imprégner de leur magie. 

Adèle Haenel, le 28 février 2020 © Christophe Ena/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22433421_000006
Adèle Haenel, le 28 février 2020 © Christophe Ena/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22433421_000006

À bas bruit

Un dernier conseil aux futurs récipiendaires, s’ils veulent vraiment que leur image perdure à travers le temps, s’ils veulent nourrir notre imaginaire à jamais, qu’ils restent sur la réserve, qu’ils mettent un voile sur leurs aigreurs ou leurs douleurs. Les belles carrières se font à bas bruit. Je pense ici à toutes ces actrices plus ou moins connues, à la filmographie plus ou moins longue qui m’ont cueilli par leur seule présence, à l’adolescence. Je ne savais rien de Christine Dejoux, Maureen Kerwin, Claude Jade, Carla Gravina, Carol Lixon, Caroline Berg ou Catherine Leprince et pourtant je les aimais follement. Leur jeu, leur attitude, leur distance, leur mystère ont suffi par m’emporter sans que je connaisse leur avis sur les flux migratoires ou la vaccination.

46e cérémonie des César, vendredi 12 mars 2021 sur Canal +

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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