Dans une tribune du Monde, l’universitaire Pierre Guerlain dresse un tableau très équilibré des forces en présence. Sans cynisme, il n’en bat pas moins en brèche le mythe de l’affrontement entre deux camps uniformes, dont l’un pourrait se targuer de la légitimité morale des opprimés : ce storytelling simpliste prend l’eau dès que l’on se peenche sérieusement sur la réalité protéiforme de « l’Armée Syrienne Libre », ni véritablement une armée, ni exclusivement syrienne, et pas encore tout à fait libre pour se prévaloir d’un rôle démocratique à Damas.
Mais une phrase couperet retient l’attention du lecteur. Ce propos rapporté vient d’un citoyen syrien, probablement de confession chrétienne, qui n’hésite pas à lancer : « Je conchie cette révolution, car elle me précipite dans les bras du régime. »
Lourds de sens, ces quelques mots disent tout le paradoxe vécu par un pays que l’ONU vient de classer en zone de « guerre civile », où les deux camps s’affrontent à coups de relais médiatiques et d’enfants-soldats. Drôle d’époque où les canons de la démocratie libérale brandis à longueur de plateaux télés justifient l’évacuation de villages chrétiens entiers, les rapts mutuels entre sunnites et druzes, les imprécations salafistes contre les « impies alaouites », le tout étant copieusement manipulé et/ou récupéré par un régime anachronique qui numérote ses abattis et qualifie tous ses ennemis de mercenaires à la solde du « sionisme ».
Faute de pouvoir catégoriser des éléments aussi intextricablement mêlés, nous nous contenterons d’écouter la paroles- souvent contradictoires – des acteurs du front syrien. Certains de ces pauvres hères se retrouvent bien malgré eux intriqués dans un conflit politico-confessionnel. Ils vomissent la servitude volontaire dans laquelle les enferment leurs prétendus libérateurs. D’ailleurs, l’assignation à l’obéissance indirectement engendrée par ceux-là mêmes qui en appellent au « devoir d’ingérence » n’est-elle pas l’ultime paradoxe de la tragédie syrienne ?
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