Aux JO, il n’y a pas que des stars comme Teddy Riner et Léon Marchand, ou des vedettes comme les footeux grassement payés par leurs clubs. On trouve aussi des champions méconnus et amateurs que l’État soutient en leur offrant des emplois qu’un rabat-joie taxerait de « fictifs ».
Vous avez peut-être déjà oublié son nom, mais que fait dans la vie Nicolas Gestin, médaille d’or en canoé, un sport non-professionnel qui ne nourrit pas son homme ? Il n’est pas marin, mais aviateur, au sein de l’Armée de l’air. Et que fait dans le « civil », si on ose dire, Clarisse Agbégnénou, médailles d’or et de bronze en judo ? Elle a le grade d’adjudant dans la gendarmerie. Et Johanne Defay, bronzée en surf ? Elle est matelot dans la Marine nationale. Pour obtenir une médaille d’argent, le soldat Luka Mkheidze a, lui, suivi un vrai parcours du combattant. Né en 1996 en Géorgie, il arrive en France à l’âge de 14 ans, réfugié au Havre. A sa majorité, il est rapidement naturalisé français, grâce au maire du Havre et futur premier ministre, Edouard Philippe, à qui il dit encore merci (dans un entretien donné au Parisien) : « D’habitude, ça prend beaucoup plus de temps mais après quelques mois, j’ai reçu une lettre d’Édouard Philippe à mon domicile m’avertissant que j’allais obtenir ma nationalité ». Il est ensuite incorporé dans l’Armée de terre comme simple soldat mais redoutable judoka. L’armée mérite ainsi bien de la patrie. Aux JO, sur les 571 athlètes de la délégation française, le ministère de la Défense a fourni un contingent de 78 sportifs de haut-niveau (38 de l’armée de Terre, 16 de l’armée de l’Air, 13 de la Marine et 11 de la Gendarmerie). Ils ont réussi leur mission et remporté 21 médailles (voir Annexe ci-dessous). Mais attention, ces médaillés ne sont pas des militaires qui font du sport mais des sportifs à plein temps à qui l’État, via l’armée, alloue une espèce de Revenu Sportif Autorisé.
A lire aussi: One, two, three, viva l’hyperandrogénie!
Les judokas militaires ont gagné la médaille d’or par équipe mixte en collaboration avec les judokas des Douanes, une victoire que Jean-Luc Mélenchon a dû apprécier, lui qui est fan de la compagnie créole. Lors de ces Jeux sans frontière, les Douanes ont ainsi apporté leur contribution directe en présentant 15 athlètes dont les prises ont rapporté 4 médailles : 2 d’argent en escrime avec Yannick Borel et Alexandra Louis-Marie, et 2 de bronze en judo avec Romane Dicko et Amandine Buchard. Une Amandine très médiatique qui de plus bénéficie des soutiens financiers du manufacturier japonais Bridgestone et de l’entreprise biopharmaceutique Sanofi.
Durant les Jeux, la police n’a pas fait qu’assurer la sécurité. Avec 19 représentants, elle a participé à la compétition. Avec 4 médailles à la clé : L’or pour Kauli Vaast en… surf. Le bronze avec Sébastien Patrice et Maxime Pianfetti en escrime par équipe, et deux médailles d’argent, au tir (sans sommation) avec Camille Jedrzejewski, et en natation, avec une certaine Anastasia Kirpichnikova, dont le parcours est assez étonnant. Née en 2000 en Russie, elle a compris, quand en 2021 a éclaté la guerre entre son pays et l’Ukraine, que les athlètes russes ne seraient pas autorisés à participer aux Jeux de paris. Elle est donc partie s’entraîner en France et a demandé à obtenir la nationalité française qui lui a été accordée par un décret express du 20 avril 2023. Lui permettant ainsi de participer aux JO sous pavillon français et d’intégrer la police, en qualité de « policière réserviste ».
Enfin la SNCF présentait 11 athlètes, dont la judoka Sarah-Léonie Cysique, médaillée de bronze (en individuel) et d’or (par équipe). Hors tatami elle est officiellement agent au sein de l’Équipe d’Assistance Rapide (EAR) à la gare de Paris Est, mais vu les cinq heures d’entraînement qu’elle consacre quotidiennement à son sport, elle doit travailler à la Sncf les jours de grève.
A lire aussi: JO : le prix caché de la réussite
Au total, militaires, douaniers, policiers et cheminots ont remporté 30 breloques, sur un total de 64 tous métaux confondus, soit près de la moitié des médailles gagnées par la France. Les médias leur ont dressé une statue éphémère mais évoquent rarement leur statut social. Ces champions, tous amateurs, pourraient difficilement concilier entraînement et gagne-pain quotidien. L’État incite ainsi ses ministères et les grandes entreprises à leur offrir un salaire. Des emplois fictifs ? Que nenni ! Toute une série de décrets et de conventions bétonne juridiquement le dispositif.
Ironie du sport, les facilités que l’État s’accorde pour soigner son image sportive, il les conteste aux collectivités locales.
Le lundi 5 octobre 2015, le champion Teddy Riner était ainsi entendu par les policiers de la brigade de la répression de la délinquance économique (BRDE), à Paris, pour justifier le salaire que lui versait alors la mairie de Levallois-Perret, qui l’avait recruté au sein du Levallois Sporting Club (LSC). Et en janvier 2016, la boxeuse Myriam Lamare avait été suspendue pour deux ans de la Fonction publique, accusée d’avoir occupé un emploi fictif à la mairie de Marseille.
Annexe : les médaillés militaires
OR (4)
-maréchal des logis Manon Brunet (escrime, sabre individuel)
-aviateur Nicolas Gestin (canoë slalom)
-adjudant C. Agbégnénou, matelot JB Gaba, second-maître S. Boukli et soldat L. Mkheidze (judo par équipe mixte)
-maréchal des logis Althéa Laurin (taekwondo)
ARGENT (6)
-sergent Sylvain André (BMX Race)
-sergent Thomas Chirault (tir à l’arc par équipe hommes)
-matelot Joan-Benjamin Gaba (judo -73kg)
-soldat Luka Mkheidze (judo -60kg)
-aviateur Lauriane Nolot, (voile, kitefoil)
-capitaine Elodie Clouvel (pentathlon moderne)
BRONZE (11)
-adjudant Clarisse Agbégnénou (judo -63kg)
-maréchal des logis Lisa Barbelin (tir à l’arc)
-sergeant Léo Bergère (triathlon)
-second maitre Shirine Boukli (judo -48kg)
-matelot Johanne Defay (surf F)
-sergent Anthony Jeanjean (BMX freestyle)
-sergent Enzo Lefort et maréchal des logis Maxime Pauty (fleuret par équipe H)
-sergent Romain Mahieu (BMX Race)
-sergent Yohann N’Doye-Brouard (natation, relais 4 x 100 m 4 nages H)
-maître Charline Picon (voile, skiff)
-soldat Cyrian Ravet (taekwondo –58kg)
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !