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Plus personne ne fait l’Histoire!

“Ces destins qui ont fait l'Histoire” de Marc Menant


Plus personne ne fait l’Histoire!
Marc Menant, Festival du livre de Paris, le 23/04/2022 © LAURENT BENHAMOUSIPA

À la lecture du livre de Marc Menant, notre chroniqueur observe que même si l’époque actuelle est largement pourvue en crises et en violences internationales, et même si l’époque actuelle compte bien quelques orgueilleux, elle n’est pas forcément assez désespérante pour secréter, par une sorte de miracle, les sauveteurs qui viendront l’apaiser…


Marc Menant a publié chez Plon Ces destins qui ont fait l’Histoire. Avec les questions et relances de Christine Kelly, ce livre est la transcription des monologues enthousiastes et savants que le premier a offerts chaque soir sur CNews dans Face à l’info. On peut discuter le choix des personnalités qui, selon Marc Menant, « ont fait l’Histoire ». Certaines sont indiscutables comme Jeanne d’Arc, Léonard de Vinci ou Napoléon Bonaparte, d’autres, selon les goûts et les appétences de chacun, sont non pas surestimées – elles ont de la qualité et de la valeur – mais portées à un niveau de « fabricantes de l’Histoire » qui les flatte sans doute trop. Mais ce débat est inévitable qui n’altère en rien la problématique passionnante sur les destins « qui ont fait l’Histoire » et pourquoi, avec cette question actuelle : pourquoi plus personne ne fait-il l’Histoire ? Avant d’aborder le fond de cette interrogation, une fois reconnu le caractère passionnant de cet ouvrage qui propose une vulgarisation à la fois anecdotique et élaborée de quelques pans de notre Histoire, il faut bien concéder une seule réserve. Elle tient au manque de Marc Menant lui-même. Nous font défaut sa voix, son élan, cette alacrité toute emplie du désir de transmettre et de convaincre, cette oralité à la fois familière et soucieuse du vocabulaire et du langage, qui tiennent le téléspectateur en éveil, en curiosité permanente.

Rendez-vous avec l’Histoire

Faire l’Histoire, c’est penser et agir de telle manière que, sans vous, l’Histoire n’aurait pas été la même. En général pour le meilleur mais il faut accepter la malédiction du pire qui constitue, par exemple, Hitler comme un homme qui « a fait l’Histoire » mais pour l’entraîner dans un gouffre ignoble. Faire l’Histoire revient à ne pas se contenter d’un rôle de spectateur, d’observateur, d’acteur mais d’être animé par une énergie, une volonté de transformation et de métamorphose. Il y a sans doute, dans cette pulsion créative, une sorte d’orgueil nécessaire qui vous fait vous considérer comme supérieur au réel, en position de le dominer, de le dompter. Encore faut-il que l’Histoire donne rendez-vous à ces personnalités qui n’attendaient que son appel pour montrer de quoi elles étaient capables, comme elles étaient largement au-dessus du lot commun. Même si l’époque actuelle est largement pourvue en crises et en violences internationales, elle n’est pas forcément assez désespérante pour secréter, par une sorte de miracle, les sauveteurs qui viendront l’apaiser. On peut dire aussi, en ce sens, que si des « destins font l’Histoire », l’Histoire en a fait quelques-uns. Pour Charles de Gaulle, si très tôt il avait fait preuve d’un caractère roide et de qualités exceptionnelles, c’est l’Histoire orageuse et terrifiante qui lui a permis de poser sa marque sur une évolution de la France, de l’Europe et du monde qui, sans son action, aurait été très sensiblement infléchie. À un degré moindre, le président Volodymyr Zelensky a été projeté, à cause d’un dictateur russe sans scrupule, dans une Histoire qui l’a révélé à lui-même en même temps qu’à ses compatriotes admiratifs et aux autres nations. Son action, par la force des choses, a été purement défensive avec le recours à de nombreuses sollicitations diplomatiques et militaires. Il a subi cette Histoire, pour le meilleur, plus qu’il ne l’a construite. Quel sera son destin et celui de l’Ukraine alors qu’un autre cataclysme en date du 7 octobre, avec ses suites meurtrières, leur a fait une ombre tragique ?

La baisse du niveau a encore frappé !

Que plus personne, aujourd’hui, ne fasse « l’Histoire » ne tient pas seulement à une baisse intrinsèque des dirigeants qui sont au pouvoir, à l’absence, ici ou là, de chefs portant en eux une synthèse accomplie d’intelligence, de volontarisme, de courage, d’exemplarité et de culture même si cette pénurie est dramatique. Il y a aussi le fait que dans cet univers géopolitique, aussi limités et imparfaits qu’ils puissent être, aussi peu respectés que parfois ils soient, il y a des règles, des principes, des dialogues qui contraignent une personnalité forte à ne pas se libérer tout entière mais à tenir compte d’autrui et du multilatéralisme. Sauf à se prétendre délestée de tout esprit collectif, et cela fait advenir des Trump, des Erdogan ou des Poutine !

Il serait injuste de forcer le trait et de ne pas retenir que tel ou tel a pu, face à des crises ponctuelles, à des exacerbations momentanées, avoir un rôle décisif. Par exemple, Nicolas Sarkozy, à l’évidence, durant son unique mandat, a fait preuve en plusieurs circonstances d’une activité efficace qui, un temps, a donné l’impression de « faire l’Histoire » mais au-delà de ces effervescences couronnées de succès, on ne pouvait pas trouver chez lui, pas davantage que chez ses successeurs et les autres leaders dans le monde, la hauteur de vue, la profondeur, l’intuition du futur, le courage de la résistance quand il convient, caractérisant l’homme ou la femme faisant authentiquement l’Histoire.

On recherche désespérément, notamment face à l’insoluble et meurtrier conflit israélo-palestinien, la force d’un être suffisamment sage pour être capable de négocier sur le plan politique et, de l’autre côté, une même nature apte à faire passer la haine après les considérations pragmatiques et les intérêts. Avec le risque terrifiant, dans cette région du monde, que l’homme décidé à faire l’Histoire comme Rabin ou Sadate dans un autre registre soit assassiné. Cette mélancolie démocratique qui nous point en France ne vient pas certes de cette seule cause mais le fait que sur l’ensemble de l’échiquier politique, quel que soit le talent dévolu à certains, aucun ne nous offre la certitude qu’il saura faire « l’Histoire » participe grandement à cette désaffection majoritaire du jeu républicain. Il y a eu « ces destins qui ont fait l’Histoire ». Dans quelques années, pourra-t-on se retourner et écrire un nouveau « Ces destins qui ont fait l’Histoire » ? J’aimerais tellement que mon déclinisme ait tort et que la réponse soit affirmative.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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