« Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas : celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient » C’est Claude Guéant qui a déclaré cela il y a quelques temps dans un colloque réunissant des députés UMP et des syndicalistes de l’UNI. En soi, la phrase n’est pas forcément gênante. Ni fausse. On pourrait évidemment discuter d’une gauche relativiste qui serait par exemple capable de trouver des excuses aux talibans. Mais il est évident, par le public auquel il s’adressait et par la période électorale que nous traversons, que Claude Guéant parlait de tout autre chose. Que derrière ce qui est une évidence, voire un truisme, « la civilisation, c’est mieux que la barbarie », se drape la nouvelle étape d’une stratégie d’ailleurs plutôt inefficace, voire complètement contre-productive.
Je croyais pourtant que Claude Guéant était habile. Qu’il était le vrai Père Joseph du régime. Je croyais, même si je trouvais cela détestable, qu’il profitait intelligemment et cyniquement (les deux choses vont souvent ensemble) de la place Beauvau pour mieux draguer sur les terres lepénistes. Personne, dans l’entourage présidentiel, au gouvernement et à l’UMP, et surtout pas lui, n’a en effet envie de s’attarder sur le bilan de la politique sécuritaire. Il est accablant, même en comptant seulement à partir de 2007, c’est-à-dire de l’élection de Sarkozy et non à partir de 2002 où le même Sarkozy était déjà ministre de l’Intérieur avec Claude Guéant comme principal collaborateur. Dix ans de provocations verbales et, au bout du compte, une situation qui a empiré, des effectifs policiers saignés à blanc par la RGPP et un vieux sage de la République comme Badinter qui tonne sur le « charlatanisme politique » des annonces sur le recul du nombre de victimes alors que tout le monde sait que les attaques contre les personnes ont augmenté et que le grand banditisme a renforcé le nombre et l’intensité de ses attaques par une utilisation presque systématique d’armes lourdes.
La meilleure preuve que la politique sécuritaire du gouvernement est un échec, c’est que le candidat président Sarkozy n’en parle pas. On peut penser que c’est à cause de la crise économique sans précédent qui nous frappe. On peut aussi penser que si le retour à l’ordre qu’il avait promis depuis une décennie était effectif et incontestable, il n’aurait pas hésité à en faire un argument.
Alors, en arrivant à l’Intérieur, il ne s’était plus agi pour Claude Guéant de faire preuve d’une quelconque aptitude en matière de maintien de l’ordre. Sa lettre de mission était d’une autre nature et relevait du pur combat idéologique. On peut s’amuser à relever la liste de ses dérapages plus ou moins contrôlés qui ont fait d’un ministre de la République un chalutier à filet traînant chargé de ramener tout ou partie l’électorat FN, ou plutôt, et nous touchons là un des problèmes, ce que Claude Guéant croit à tort être l’électorat FN.
Certains se rappelleront peut-être que ce fut la méthode du préfet du Var en 1995, Jean-Charles Marchiani, nommé là par Chirac, pour tenir sous surveillance la mairie de Toulon, celle qui avait été conquise par le FN. Marchiani, pour trianguler la nouvelle municipalité et ce département si favorable aux idées frontistes, avait multiplié les déclarations les plus violemment réactionnaires. Marchiani, préfet, donc théoriquement soumis à la neutralité des hauts fonctionnaires, n’avait pas hésité à déclarer déclaration sur le groupe NTM qui venait dans le coin pour un concert et qu’il avait interdit sous les applaudissements des frontistes : « En tant que représentant de l’Etat, en tant que chrétien et en tant qu’homme, je ne peux laisser passer une telle atteinte à la dignité de la femme et de la mère de famille. » C’était assez malin, qu’il le pense ou pas. En 95, dans un département comme le Var, avec ses Pieds Noirs et ses immigrés qui se regardaient en chien de faïence, la jouer choc des civilisations, cela pouvait être efficace en termes électoraux.
Mais c’était en 95 et nous sommes en 2012. Je ne sais pas dans quel monde vit Claude Guéant mais aujourd’hui, c’est au niveau national que le FN réalise les scores qu’il faisait dans quelques départements du Sud Est. Et ce n’est plus par peur d’une invasion arabe, rom, comorienne ou je ne sais quel allogène que l’on choisira selon la convenance géopolitique du moment. Cela, Marine Le Pen l’a compris. Pour l’essentiel, dans la bonne tradition de son parti, elle joue sur la peur mais plus sur la peur de l’autre. Ce qui tétanise le prolo français, sa principale cible, ce n’est pas, ce n’est plus l’étranger qui lui pique son pain, son boulot et ses allocations. Il a bien vu, le prolo français, et notamment depuis 2008, que ce qui le fait changer de civilisation et détruit son modèle social, ce ne sont pas les immigrés, mais la crise systémique du capitalisme depuis 2008, crise du système financier, de la dette, de la zone euro. On peut amuser le tapis avec la construction de mosquées dans une ville donnée, on sent bien que ça fait moyennement le poids face à une délocalisation qui laisse quelques centaines de salariés avec leurs yeux pour pleurer. Marine Le Pen le sait, agit en conséquence, et c’est pour ça qu’elle mord les basques du président sortant dans les sondages de premier tour.
Claude Guéant, qui a montré qu’il n’hésitait pas de se mêler de tout et de nous faire profiter de ses brillantes analyses sur l’éducation en attribuant le monopole de l’échec scolaire aux élèves d’origine étrangère, aurait pu faire semblant de prendre la panique économique.
Mais non, il s’amuse juste à parler de la supériorité de certaines civilisations par rapport à d’autres et à dénoncer le relativisme de la gauche. C’est à ce genre de choses que l’on voit que Claude Guéant a quelques charters de retard sur le FN new look.
Le rattrapage en catastrophe qu’il a opéré en prétendant que ses propos avaient été tronqués et que son évaluation, sa hiérarchisation se faisait avec comme indicateurs le respect des droits de l’homme n’abusera que ceux qui veulent être abusés.
Parce que ses propos, il les a prononcés devant des députés UMP et des étudiants du très droitier syndicat UNI. Pas devant la LDH ou Amnesty International qui doivent pour lui faire partie de cette « gauche relativiste ».
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