Certains échappent encore aux patrouilles épuratrices malgré leurs positions assumées, et c’est tant mieux.
C’est une loi naturelle. L’artiste est de gauche et doit régulièrement le prouver. Les feignants pétitionnent – contre le réchauffement climatique, les violences policières ou le patriarcat sans oublier le must du genre, l’appel contre l’extrême droite –, les plus exaltés ou exhibitionnistes nous infligent, pour toutes les grandes occasions (Césars, Cannes, Molières) de douteuses performances à base d’audaces de cour d’école, nudité et pipi-caca. En effet, cette injonction concerne surtout les milieux du spectacle et du cinéma, où on a besoin de financements, notamment publics. Écrivains ou peintres peuvent encore se dispenser d’aller tous les dimanches à la messe progressiste et professer des idées inconvenantes – surtout s’ils vendent. Encore que les dernières déconvenues de Michel Houellebecq suggèrent que même les esprits les mieux trempés peuvent se lasser d’être les têtes de Turc des salons où on arbitre les élégances.
Il n’est pas question ici du gauchisme culturel, fond de sauce idéologique de l’époque, mais de son sous-produit qu’on appellera le gauchisme cultureux, phénomène transnational au demeurant[1]. À Hollywood, Cannes ou Venise, le gratin des paillettes et du glamour est solidaire des opprimés. En France, terre d’élection de l’« exception culturelle » et de l’intermittence, ses adeptes se reconnaissent à ce qu’ils ont en même temps la main tendue et le poing levé.
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On s’est habitués à cette injustice institutionnalisée : pendant que certains engrangent les premiers prix de morale, des auteurs, des metteurs en scène, des comédiens sont privés de financements ou de rôles parce qu’ils pensent mal et parlent trop. Beaucoup ont échappé à la patrouille en gardant leurs opinions pour eux. Certains ont même fait carrière bien qu’ouvertement – et scandaleusement – de droite.
La déferlante #MeToo et la mutation du progressisme en wokisme ont entraîné une extension continue du domaine de l’interdit et un durcissement des peines qui vont jusqu’à la mort sociale et professionnelle. Ce fanatisme révolutionnaire est-il allé trop loin dans l’ardeur épuratrice ? Toujours est-il que, des deux côtés de l’Atlantique, des artistes se rebiffent, à l’instar de J. K. Rowling qui refuse toujours d’abjurer sa conviction qu’il y a des hommes et des femmes. En France, comme le montre le tour d’horizon établi par Jean-Baptiste Roques, des grands noms du cinéma et du théâtre bravent les interdits sans subir les foudres des prêchi-prêcheurs. Il serait exagérément optimiste d’en conclure que le reflux du wokisme a commencé. Mais on peut dire ceci aux jeunes gens qui veulent percer dans le show-business : si ça vous chante, couchez pour réussir, mais rien ne vous oblige à vous coucher.
[1]. On peut voir sur Twitter une photo de Richard Gere posant sur un bateau avec les migrants dont il finance le transit vers l’Europe.