Depuis son altercation avec Eric Zemmour, Hapsatou Sy est traitée avec les égards dus à son rang de victime. Notre société, qui ne supporte plus quoi que ce soit qui choque ou qui blesse, s’accommode fort bien du bannissement des dissidents. La preuve par Zemmour.
« Depuis #metoo, je suis fier d’être une victime. » Cette phrase, prononcée par un officier de police venu évoquer le viol dont il avait été victime enfant, a suscité un tonnerre d’applaudissements dans le studio 104 de la Maison de la radio, au cours de l’université du féminisme patronnée par Marlène Schiappa, le 13 septembre.
Hapsatou Sy, quant à elle, n’est pas très loin d’avoir la grosse tête : depuis le 12 septembre, date de l’enregistrement des « Terriens du dimanche ! » au cours duquel elle s’est empaillée avec Éric Zemmour, la chroniqueuse cache mal la satisfaction que lui procure le spectacle de sa propre souffrance. C’est qu’en décrochant le pompon victimaire, elle a acquis un statut envié.
Le règne de la victime
Depuis le temps qu’on l’annonce, il fallait bien que le règne de la victime commence pour de bon. La vie publique ressemble donc de plus en plus à une victime-pride permanente, un défilé de chochottes et d’offensés (qui sont souvent des offensées) se promenant avec leur « souffrance intime » et leurs yeux humides en bandoulière, comme autant de médailles conquises sur le front de la lutte contre les salauds et les racistes. Des journalistes ou animateurs les reçoivent avec un air émotionné, comme s’ils accueillaient des rescapés de l’enfer.
Il y a bien sûr de véritables victimes. Il arrive même qu’on les voie à la télévision. Mais dans l’immense majorité des cas, les femmes violées ou battues et les personnes traumatisées recherchent la discrétion plus que la célébrité. Tout le monde ne veut pas majusculiser sa douleur.
Au passage, on s’interroge sur ce qu’on appelle « souffrance » aujourd’hui. Dans bien des cas, il s’agit d’un propos, parfois d’un effleurement ou seulement d’un regard, qui aurait, nous dit-on, suffi à détruire une vie. L’ineffable créatrice de #balancetonporc, Sandra Muller, est « tombée dans une faille spatio-temporelle », non pas parce qu’un homme l’a battue ou agressée (tant mieux), mais parce qu’il lui a dit crûment qu’il la désirait. Si une grossièreté peut dévaster une existence, le monde est peuplé de victimes. Donc de bourreaux. Il m’a mal parlé ! Il m’a regardée de travers ! – ou par en dessous, le vicieux. Il m’a dit que j’étais chiante… « Tu grandiras et tu oublieras », me disait mon père quand j’étais gamine et que je chouinais. On se demande ce qui est arrivé à l’espèce humaine, en particulier à sa partie féminine, pour que quelques mots plus hauts que les autres ou un regard un peu trop suggestif venant d’un inconnu ou d’un compagnon d’émission puissent causer tant de malheurs. À noter que l’insulte fait figure d’atteinte irréparable au moment où, sur les réseaux sociaux, elle se banalise à grande vitesse. Ainsi, les réseaux sociaux ne permettent-ils pas seulement à chacun de déverser son fiel et ses ressentiments, mais aussi d’avoir sa part d’offense sans laquelle on n’est rien. Si t’as pas été traumatisé à 50 ans, t’as raté ta vie.
Si vous souffrez, vous êtes une victime
On pourrait
