Le metteur en scène Mariame Clément a décidé de s’emparer de l’opéra de Jules Massenet « Cendrillon ». Cet opéra en quatre actes, datant de la fin du XIXe siècle, est repris et transformé à la sauce contemporaine. Le moins que l’on puisse dire est que cette adaptation, que vous pouvez retrouver à l’Opéra Bastille jusqu’au 28 avril, n’enchante pas notre chroniqueuse Sophie de Menthon. Bien qu’elle soit la première à reconnaître le talent indéniable des interprètes, elle ne peut applaudir cette déconstruction de Cendrillon par la propagande du moment…
Aller écouter « Cendrillon » l’opéra de Massenet à Bastille m’enchantait. Mais mon conte de fée préféré et mes rêves de petite fille en ont pris un sacré coup. Pourtant, le plaisir des mélomanes n’a pas été perturbé. Ils affirmaient à l’entracte que ce sont les voix et la musique qui comptent. Une fois qu’on a dit cela, et après s’être discrètement étonné d’une Cendrillon qui balaie une usine – auprès de sa belle-mère marâtre/patronne du site industriel pour la circonstance, au milieu d’ouvriers qui ne l’aiment pas, normal! qui veut emmener ses deux filles au bal dans l’espoir de les voir sélectionnées pour un destin royal, préféré à celui de l’usine – on retrouve le fil de l’intrigue.
Des personnages affranchis de leurs étroits costumes
Le programme affirmait que « les personnages sont affranchis de leurs étroits costumes et souliers ». On a vite compris ce que cela voulait dire. Mariame Clément a tout fait pour se faire remarquer. Une œuvre dans l’œuvre, c’est tendance, remarquez. Elle avait une mission : il ne faut surtout pas se laisser aller à un romantisme passéiste et pervers.
Après un mauvais interlude télévisé, on passe donc – après les beaux duos avec le père (le mari déconstruit par la patronne) – de l’usine du premier acte à la salle de bal du deuxième acte. Ce bal est peuplé de pouffiasses vêtues de robes à panier et volants, rose bonbon, agrémentées de perruques blondes bouclées pour bien signifier le sexisme ridicule codé de ces prêtes-à-marier (on note, au passage, le meurtre de la poupée Barbie…). A mort le rose sexiste et discriminant !
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Cendrillon, grâce à la gentille marraine-fée (une voix magnifique), se retrouve terrifiée au bal, avec ses charmants 20 kilos de trop dans sa robe scintillante rose caricaturale et ses pantoufles de verre qui brillent de mille feux.
Et c’est alors le clou du spectable ! On découvre que le prince charmant est une femme. Une « princesse charmante » soprano a la voix exquise. Un prince iel branché, ni homme ni femme, qui reconnait d’emblée sa bien-aimée. Dans la foulée, iel lui ôte immédiatement sa robe, elle se retrouve en dessous d’époque, lui-elle est en chemise. Jusqu’alors, la pauvre victime de son sexe n’arrivait pas à s’assoir à côté du prince.sse à cause des cerceaux de l’encombrante robe de bal, opprimante condition féminine. On nous fait par ailleurs comprendre que la prince.sse picole. On ne sait pas trop pourquoi? Mal dans sa peau, sûrement. Le duo vocal est certes parfait, sauf que le charme est un peu rompu à mon goût par deux voix féminines qui en fichent un sacré coup au ténor dont je rêvais !
Un opéra sociétalement correct
Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas là des conventions lyriques qui font habituellement notre bonheur, comme le jeune Chérubin des Noces de Figaro dont le rôle est traditionnellement chanté par une femme déguisée, ou encore comme le jeune Octavian amoureux de la maréchale, rôle féminin dans le Chevalier à la Rose de Richard Strauss. Le motif fondamental, ici, est sociétal : pourquoi un prince et pas une princesse pour Cendrillon ? Ni Massenet, ni Perrault n’avaient pourtant prévu cela ! Il fallait déconstruire le conte de fée et le prince charmant, c’est fait. Et bien sûr, pas de baiser volé : on se roule des palots au beau milieu du bal, tout de suite après que la robe ait été balancée dans un coin. Mais le plus horrible, ce sont ces pantoufles de verre (à talons, en plus !) qui font tant souffrir Cendrillon. C’est donc un grand moment, quand la prince.sse charmante offre à une Cendrillon esbaudie, des Converses oranges à la place ! On touche alors au sublime – je blague !
La musique nous console, on essaie de recoller les morceaux et on attend les 12 coups de minuit. Voilà c’est fait ! La prince.sse charmante tape une crise de nerfs et Cendrillon repart en dépression… Les méchantes sœurs au retour sont exquises de gentillesse obligatoire (ça ne se fait plus d’être méchante), elles compatissent entre le mezzo de l’une et les aigus vibrants de l’autre.
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À la suite des douloureuses péripéties de l’absence, la fée revient et va enfin permettre aux amant.es déchiré.es de se retrouver par hasard dans la forêt, après de douloureuses mais magnifiques vocalises. La forêt ? Plutôt un ensemble de cuves et de conteneurs rouillés représentant des chênes, du moins le comprend-on dans le texte. De quoi ravir les écolos qui y voient bien ce que vont devenir les forêts à cause de nous… Au moment fatidique, les amoureux, de chaque côté du conteneur-chêne, vont introduire leur main l’un et l’autre, dans un cœur ensanglanté tout droit sorti d’une salle de dissection du service cardiologie d’un hôpital, sans voir l’être aimé. On retient un haut le cœur, mais on se réjouit pour Cendrillon et sa prince.sse charmante. Mais voilà qu’ils se perdent à nouveau… on s’attend presqu’à ce qu’il la cherche sur Tinder à présent.
Au dernier acte, le prince est sur une civière, à moitié dans le coma, mourant d’avoir perdu à nouveau sa Cendrillon. Porté par des brancardiers, il arrive dans l’usine avec les courtisans et son père le Roi, un soulier à la main… Cendrillon enfin s’avance, elle est reconnue : oui, c’est bien elle l’élue, la lutte de classes triomphe ! Et dans un dernier élan musical, la fin est actée par l’apparition d’un nouveau soulier que Cendrillon doit passer à son petit pied menu pour être tout à fait sûr que c’est bien elle. Il s’agit d’une magnifique paire de baskets, en diamants cette fois. On éclate de rire, quand même !
Mais le ridicule ne tue pas l’opéra. Malgré tous ces efforts désespérés pour sortir des conventions d’antan, le talent des chanteurs transcende finalement cette déconstruction / destruction d’on ne sait plus très bien quoi, au profit d’on ne sait encore moins quoi !
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