Tonnerre d’applaudissements au tomber de rideau de la première de « Cendrillon », samedi 26 mars.
L’immortel Jules Massenet est décidément mis à l’honneur cette année, la même salle de l’Opéra-Bastille ayant accueilli, il y a un mois à peine, Manon, l’autre opéra-comique archi connu du compositeur inspiré de Thaïs, d’Hérodiade ou de Werther, aux mélodies si délicatement chatoyantes. Tant mieux.
Sous la baguette de Carlo Rizzi, cette nouvelle production mise en scène par Marianne Clément (décors et costumes signés Julia Hansen) tire intelligemment l’adaptation lyrique du célèbre conte de Perrault vers l’époque exacte de sa création, à l’aube naissante de la Belle Epoque : tableautins animés en noir en blanc qui, renvoyant au premier Septième art, accompagnent les préludes de chacun des quatre actes ; usine textile tarabiscotée par quoi s’ouvre le spectacle, allusion évidente aux inventions de l’âge industriel telles que visitées par le génie de Méliès ; verrière de fer qui, pour figurer la salle des fêtes du palais où le livret de Henri Cain inscrit le deuxième acte, prend modèle sur l’esthétique des Grand et Petit Palais parisiens, quitte à transformer le plateau tout entier en édifice de l’Exposition universelle 1900… Sous les auspices du grand compositeur dans sa maturité tardive (en 1899, date de la création de « Cendrillon », Massenet est âgé de 57 ans – il mourra en 1912),
Cendrillon (dans le rôle, la soprano d’origine irlandaise Tarra Errgaught, légende vivante du Bayerische Staatsoper de Munich)n’a plus rien d’un conte pour enfants : Madame de La Haltière, génitrice de Lucette (car Cendrillon est ici pourvue d’un prénom) y figure une marâtre bourgeoise, antipathique mère-maquerelle tenaillée par une unique obsession : choper le parti le plus rentable en faveur de ses filles, Noémie et Dorothée. Choisissant avec tact de pasticher les opéras du XVIIIème siècle, ainsi que le fera un peu plus tard Richard Strauss pour le jeune Octavian du Chevalier à la Rose, Massenet travestit en femme le Prince charmant (chanté, au reste, avec une grâce absolue par la mezzo- soprano britannique Anna Stephany), tandis que la Fée, quant à elle, dans cette mise en scène 100% d’époque , pourrait-on dire, crépite d’ampoules à fort voltage, telle une authentique Fée-Electricité ; et que Pandolfe, le bonasse chef de famille rivé à son canapé anglais en cuir, semble bien souscrire à la tentation néo-rurale, avant la lettre: « Viens, entonne-t-il en effet, à l’adresse de sa petite Lucette/ Cendrillon dans le premier tableau du troisième acte, nous quitterons cette ville/où j’ai vu s’envoler ta gaîté d’autrefois/Et nous retournerons au fond de nos grands bois, / Dans notre ferme si tranquille, / et nous serons heureux, / Bien heureux, tous les deux… ».
Cendrillon. Conte de fées en quatre actes et six tableaux, opéra-comique de Jules Massenet (1899), d’après Charles Perrault. Direction musicale : Carlo Rizzi. Mise en scène : Marianne Clément. Avec Tarra Erraught, Daniela Barcellona, Anna Stephany, Kathleen Kim…
Du 29 mars au 28 avril. Durée du spectacle : 2h40. Opéra-Bastille. Paris.