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Cendrillon dans l’ascenseur social

"La Cenerentola", opéra en deux actes de Gioachino Rossini, encore quatre représentations


Cendrillon dans l’ascenseur social
© Vincent Pontet

Dans La Cenerentola de Rossini, la mezzo-soprano détonnante Marina Viotti s’impose sur le plateau avec évidence. Au Théâtre des Champs-Elysées.


Dans la version « dramma giocoso » (« drame joyeux ») de Gioachino Rossini, opéra millésimé 1817, l’héroïne du conte de Perrault ne sombre pas dans un sommeil magique et n’enfile aucune pantoufle de vair. Cendrillon s’y prénomme Angelina, c’est une pauvre fille martyrisée par Don Magnifico, son géniteur d’un premier lit, et par ses deux demi-sœurs, les méchantes Clorida et Tisbe, pouliches rivales, cupides et décérébrées qui flairent le mariage avantageux.

Le triomphe de la bonté

Voilà donc La Cenerentola, sous-titrée « ossia La Bonta in trionfo » (Cendrillon, ou le triomphe de la bonté), spectacle présenté ces jours-ci au Théâtre des Champs-Elysées : une production montée au Semperoper de Dresde en 2021 et reprise outre-Rhin le mois dernier. Le metteur en scène transalpin Damiano Michieletto (né en 1975, et dont c’est déjà la dixième mise en scène de Rossini) y pousse à son comble la logique du « marivaudage ». La teneur foncièrement réaliste du livret de Jacopo Ferretti justifie pleinement de transposer l’intrigue domestique à notre époque : au palais décati du père fouettard, puis au fastueux pavillon du prince Ramiro. Michietto et son scénographe, Paolo Fantin, choisissent ainsi de substituer une cafétéria d’aspect clinique où Cendrillon passera la serpillère et l’eau de javel. Remontant dans les cintres, cet espace ripoliné de blanc cèdera la place, au deuxième acte, à un loft high tech aux baies arborées – la résidence du prince – avant que, dans l’acte final, le plateau n’accueille à nouveau la cantine, mais selon un dispositif et un éclairage tout différents. Ne déflorons pas quelques trouvailles de mise en scène, comme la brusque arrivée d’un « carrosse » à la carrosserie revisitée. Dans le contexte de cette remise à jour du livret, l’ascenseur social fonctionnera parfaitement pour Angelina/Cendrillon, son mariage d’argent la tirant illico du besoin, et même de toute rancune envers les siens…

© Vincent Pontet

Il est vrai que chez les aficionados du lyrique, tout se passe comme si l’ancienne « Querelle des Anciens et les Modernes » ressurgissait sans trêve à nouveaux frais. L’an passé, à l’Opéra Garnier, Guillaume Gallienne et Eric Ruf avaient inscrit la « cendreuse » ( – « Ah, suis-je donc condamnée à passer ma vie au milieu des cendres ? », se lamente-t-elle) dans une atmosphère volcanique toute napolitaine. Décor d’un rouge cendreux, évoquant ces demeures déclassées d’un autre siècle, c’était également très beau. Comme quoi, en matière de régie, personne n’a ni raison ni tort… pourvu que « cela fonctionne », comme on dit.  

Vitalité juvénile de Rossini

C’est ici parfaitement le cas. En ouverture, le personnage d’Alidoro, tout de blanc vêtu, tombe littéralement du ciel : tout au long, il plantera ses poétiques flèches blanches dans le cœur des comparses, insufflant à l’intrigue cette part de magie originelle dont Rossini, pour son huitième opéra écrit en 24 jours (il s’en est assez vanté !) à l’âge de 25 ans, soit à peine un an après le Barbier de Séville, s’est décidément affranchi. Rappelons qu’à sa mort, en 1868, le compositeur ne laissera pas moins de 41 opéras, sans compter le fameux Stabat Mater (1841) et la Petite messe solennelle (1864). Cette digression pour dire que la mise en scène a partie prenante avec cette prodigieuse vitalité juvénile. Avec cette vélocité, cette euphorie, cette accélération du tempo qui se retrouvent dans l’écriture musicale.

Le moment est donc venu de célébrer l’interprétation magistrale de cette Cenerentola sous la baguette du « baroqueux » allemand Thomas Hengelbrock, à la tête du Balthasar Neumann, son orchestre sur instruments d’époque, et du chœur (ici exclusivement masculin), et si essentiel dans le présent chef-d’œuvre rossinien : élégance d’exécution sans pareille, merveilleuse respiration, puissance sonore dans les crescendos faramineux qui restent la marque de fabrique du compositeur. A noter qu’on retrouvera le maestro Hengelbrock à l’Opéra de Paris, en mars prochain, au pupitre de Simon Boccanegra, de Verdi.

Marina Viotti, ex-gothique et belcantiste hors pair

Pour l’heure, « Viva Viotti ! », est-on tenté de s’exclamer. A 37 ans, la mezzo-soprano franco-suisse Marina Viotti, ex-gothique (elle arbore discrètement un tatouage sur l’omoplate), ex-flûtiste, ex-khâgneuse, enfant de la balle aussi à l’aise dans Vivaldi que dans Fauré, s’avère une belcantiste hors pair. Les trilles, roulades, vocalises insensées d’Angelina paraissent s’échapper d’elle avec une facilité d’exécution stupéfiante. A la fois virtuose dans la rapidité, gracieuse dans le phrasé, ultra précise dans l’articulation, puissante quand le crescendo l’exige et délicatement nuancée dans le moderato cantabile, elle est aussi cette magnifique actrice à l’opulente chevelure de jais qui s’impose sur le plateau avec évidence. A ses côtés, le ténor sud-africain Levy Sekgapane fait merveille dans le rôle de Don Ramiro ; le baryton américain Edward Nelson campe Dandini d’une voix d’airain, véritablement ; Alidoro le magicien, sous les traits de la basse Alexandros Stavrakakis, impressionne par la clarté miraculeuse de son timbre ; quant aux deux pimbêches idiotes Clorinda et Tisbe, respectivement chantées par la soprano Alice Rossi et la mezzo Justyna Otow, elles sont d’un comique irrésistible. Seule déception dans cette distribution de haut vol, le baryton-basse hongrois Peter Kalman, en Don Magnifico…

Après ce spectacle quoiqu’il en soit sensationnel, rendez-vous est pris, dans quelques jours à peine, à l’Opéra-Bastille, pour l’autre Cendrillon : l’opéra de Jules Massenet, composé celui-ci au tournant du XIXème siècle –  autre merveille. On s’en reparle ?


La Cenerentola, opéra en deux actes de Gioachino Rossini (1817). Direction : Thomas Hengelbrock. Orchestre et choeur: Balthasar Neumann.
Coproduction Théâtre des Champs-Elysées/ Semperoper Dresden
Encore 4 représentations, les 13, 17 et 19 octobre à 19h30 ; le 15 octobre à 17h.

Durée : environ 2h50.



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