Didier Lemaire était professeur de philosophie. À Trappes. Pour avoir dénoncé l’emprise de l’islam sur la ville, il a été violemment attaqué par le maire et menacé de mort par les islamistes. Dans Lettres d’un hussard à la république, il raconte la violence communautariste qui s’abat sur celui qui témoigne, l’absence de soutien de l’institution et une société tétanisée par la peur.
« 16 octobre 2020.[…] Un enseignant sort en voiture de son collège. Il passe dans une rue et, voyant un homme à terre, s’arrête […]. Il descend de son véhicule et reconnaît au sol son collègue, Samuel Paty. Un homme, penché sur son corps est en train de le décapiter. L’enseignant remonte dans sa voiture. Il ne prévient personne. Il roule 600 km et retrouve sa maison de vacances. »
Insupportable réel
La lecture de la page 282 du livre de Didier Lemaire a de quoi laisser nauséeux. Ce qui est raconté pourtant n’est pas qu’atroce et révoltant, c’est humain, tristement humain mais profondément humain aussi. Comme l’est la banalité du mal. Cela dit quelque chose de vrai sur les temps que nous vivons, sur cette lâcheté qui paraît croître au fur et à mesure que la menace terroriste grandit et que l’emprise islamiste se renforce, au point que des pans entiers du territoire sont en train de faire sécession de fait. Ce que raconte Didier Lemaire dans cette page glaçante va au-delà de l’attitude d’un homme, cela parle de notre société et peut-être encore plus de nos institutions et notre pouvoir politique. Le professeur de philosophie de Trappes nous l’explique en une phrase : « La plupart des hommes refusent d’admettre l’existence du mal ou le relativisent : ils n’ont pas la force de supporter le réel. »Alors quand le réel insiste, ils préfèrent se crever les yeux, refuser de voir ou mettre à mort le messager qui insiste pour le raconter.
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Ce qui fait peur ne suscite pas la résistance, mais nourrit au contraire la fuite. Or, comme l’homme n’aime pas plus se regarder en face qu’affronter le réel, la violence quand elle le met face àson impuissance alimente le déni.Et quand le déni ne cesse d’être contredit par les faits, alors le danger pour les lanceurs d’alerte se renforce, car ce ne sont pas seulement les islamistes qui les attaquent, mais ceux qui devraient être leurs alliés. Ce que raconte Didier Lemaire, je l’ai vécu moi-même et je ne suis pas la seule. Le temps passe, le totalitarisme de l’idéologie qui nous attaque en tant que peuple et civilisation est de plus en plus connu et analysé, mais rien ne change. Certains associatifs, militants, journalistes et universitaires, en se faisant les promoteurs du concept fréro-salafiste d’islamophobie, contribuent à empêcher tout sursaut et à mettre en danger les citoyens les plus courageux.
Environnement malsain
Ce refus de voir, qui se transforme en rejet de la lucidité en général et de ceux qui la professent en particulier, est merveilleusement brossé dans les scènes de vie qui émaillent cet essai. Cela commence par la mort d’un membre du personnel administratif dulycée. On est en 2005, toujours à Trappes, en période d’émeutes dans les banlieues. Les attaques contre l’établissement (tentatives d’effractions et dégradations) sont légion et le responsable d’entretien, qui vit dans le lycée est inquiet. Il mourra asphyxié en essayant d’éteindre l’incendie de sa voiture provoqué par un cocktail Molotov. Du défilé du ministre et du président de région qui, en guise de réaction politique, viendront arpenter les couloirs devant les caméras, il ne sortira rien.
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À travers le prisme de la salle de classe et de cet enseignement de philosophie, Didier Lemaire essaie d’expliquer que quand une vision de l’homme déterministe dicte l’unique manière d’être et de penser, « l’individu n’a pas plus de valeur qu’un boulon ».On voit petit à petit monter, chez nombre d’élèves, le refus de la confrontation à toute autre vision que celle de la religion au sein d’un lycée qui se ghettoïse. Pourtant, on sent à travers ces pages, non seulement l’amour du métier, mais l’amour de l’enseignant pour ses élèves qui, quand ils acceptent d’être touchés par un texte ou un auteur, se montrent incroyablement touchants et sincères.
Finalement, le plus choquant n’est pas l’attitude des élèves, avant tout victimes d’un environnement malsain, mais l’inertie des adultes. En quelques pages au récit enlevé, Didier Lemaire dessine une réalité qui n’est pas seulement celle de Trappes. Il y a d’abord les associations locales, censées lutter contre la « radicalisation ». Pleines de bonne volonté, elles hurlent à la stigmatisation dès qu’il s’agit de regarder en face la réalité de la propagande islamiste sur le terrain et de reconnaître que si tant de jeunes sont partis faire le djihad, c’est qu’il y a peut-être un problème avec les discours de haine contre la France et l’activité de la mosquée. Il y a le maire, plus pressé d’accrocher une cible dans le dos de celui qui ose parler que de combattre les idéologues de l’islam politique et de protéger la jeunesse de sa ville. C’est qu’il lui faut ménager sa clientèle en vue de sa réélection. Cet homme ira même jusqu’à entrer de force dans la cour du lycée pour distribuer des tracts accusant Didier Lemaire de stigmatiser la ville et ses habitants. Enfin, il y a l’Éducation nationale, qui face aux menaces de mort qui s’accumulent contre le professeur de philosophie, trouve judicieux de le nommer à Argenteuil, une ville décrite par le sociologue Bernard Rougier comme l’une des plus puissantes plates-formes islamistes existant en France. À croire que la mort de Samuel Paty n’a rien appris à personne.
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C’est aussi ce que raconte ce livre. L’histoire d’un pouvoir et d’une société qui, parce qu’ils refusent le réel, sacrifientles citoyens les plus courageux et méritants, et imposent la censure et le silence pour masquer leur refus d’agir. Didier Lemaire le raconte à l’échelle d’une vie. « Qui a tué Samuel Paty ? » se demande-t-il. « Le refus d’être qui nous sommes », répond-il. Une façon élégante de dire que la lâcheté politique et civilisationnelle de ceux qui nous gouvernent aboutit au sacrifice de leur peuple et de ceux qui sont vraiment au service de la République. C’est ainsi que, face au corps d’un de ses collègues, un homme est incapable de réagir, ne serait-ce qu’en prévenant la police.