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Dans la ville la plus violente du monde

Bons baisers de Celaya


Dans la ville la plus violente du monde
Drapeau mexicain. Image d'illustration Unsplash

Il fut un temps où Celaya était paisible. Puis le narcotrafic en décida autrement. De 2016 à 2020, Celaya a remporté le titre de ville la plus violente du monde. Quatre fois. Avec 699 homicides en 2020 pour 640 000 habitants, Celaya humilie même Caracas. Longtemps détentrice de cette macabre palme, la capitale du Venezuela est désormais écartée à la 19ème place. On peut débattre de tout, sauf des chiffres, dirait l’autre. C’est faux, d’autant plus que le Mexique n’est pas réputé pour briller dans la transparence. Il n’empêche que vainqueur quatre fois de suite, c’est beaucoup. À moins d’être un peu cinglé ou un peu nihiliste (ou bien les deux), quel intérêt à s’embarquer dans cette galère ? Celaya, ce n’est quand même ni Florence, ni Jérusalem, ni même Mexico.

La Cathédral de la Inmaculada Concepción et le château d’eau de Celaya © Alexis Brunet

Pour tout l’or de Celaya

Dans la gare routière, ni militaires, ni portillons, ni tortionnaires assoiffés de sang. En regardant autour de lui, l’étranger se trouve bien seul, au milieu des autochtones. Celaya, d’où vient cet étrange nom ? Du mot basque « zalaya », signifiant « terre plate ». En 1668, la ville s’est vu délivrer le titre de « ville très noble et loyale » et surtout, Celaya fut longtemps considérée comme « la porte de l’or des bas-fonds ». Enthousiasmé par ces informations pêchées sur une plaque municipale, l’étranger suscite la curiosité. Quand il se pâme devant la Cathédral de la Inmaculada Concepción, il suscite la convoitise. « Si vous venez demain matin, le prêtre va ouvrir le sous-sol de la cathédrale, vous verrez tout l’or de Celaya », lui assure un moustachu entre deux cigarettes devant la cathédrale.

Le fameux or des bas-fonds ? Le curé fait mine de ne pas être au courant mais le mal est fait. Dans la ville la plus violente du monde, non seulement il ne s’est pas fait menacer, l’étranger, ni même bousculer ou insulter, mais maintenant, on lui propose même de l’or ! Pour racheter son âme pervertie par une telle pensée, l’étranger va à l’église. Templo de San Agustín, Templo de la Tercera Órden, Templo de San Francisco, Cathédral Parroquia Sagrado Corazón de Jesús etc. Dans ces églises remplies en plein après-midi, il ne sait plus où donner de la tête, l’étranger. Il n’a pas l’habitude, lui qui vient d’un pays où les églises sont désertées (ou profanées).

Sécurité culturelle

Dehors, entourés de couleurs exubérantes, jeunes et vieux s’esclaffent et s’empiffrent. De la cochonnaille, des amas de cochonnaille, inlassablement. Les enfants se font maquiller pour la Fête des morts. Dans la rue Gongora, les cafés branchés côtoient les boutiques de bonbons ou de babioles inutiles. L’amour du commerce se décline en une seule langue : l’espagnol. Les Amérindiens qui manient le nahuatl ont la délicatesse de la discrétion. Il y a encore quelques jours, l’étranger était noyé dans le multiculturalisme le plus ostentatoire de la banlieue parisienne ; aujourd’hui, il se trouve dans une Cité à la culture solide comme un bloc d’or. Dans la ville la plus violente du monde, il se sent en sécurité culturelle, l’étranger.

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Il y a pourtant des meurtres, me direz-vous. « Les narcotrafiquants se tuent entre eux, tant qu’on mène une vie droite, on ne risque rien », répète-t-on à l’étranger. Reste que l’année dernière a été mouvementée. Il y a cinq ans, les têtes du cartel Santa Rosa de Lima ont eu le bon goût de s’installer à Celaya. L’année dernière, le président López Obrador a décidé de les en débarquer. Évidemment, les intéressés n’ont pas apprécié. Afin de narguer les bataillons de flics suréquipés envoyés en renfort pour les traquer, les brigands ont fait incendier d’énormes camions et de belles voitures américaines. Ceci sur onze points stratégiques entourant la ville. Des portions d’autoroutes ont été le théâtre de fusillades ridiculisant les films d’action à gros budget. Plutôt que d’assister au spectacle en direct, mieux valait rester terré chez soi avec ses bagages de haricots et ses amas de tortillas.

Extorsions et charniers

Dans le village de Salvatierra (« Terre sauve »), à trente kilomètres de Celaya, la vie s’est également durcie. Dans une bicoque sur les hauteurs du centre, un mécano m’explique qu’il préfère retaper bagnoles et camions chez le particulier plutôt que d’avoir son propre atelier. « Quand on ouvre un atelier, on doit reverser 50% de son profit aux narcotrafiquants » souligne-t-il. L’actualité de la région est rythmée par des assassinats dans des ateliers de mécanique. Il y a quelques mois, un déjeuner en famille a été troublé par de furtifs coups de feu. Juché sur une mobylette, un sicario est venu appliquer la peine capitale à un mauvais payeur dans une maison voisine. « Il a fait son affaire et est reparti comme si de rien n’était », commente le mécano, qui ajoute veiller à ce que sa fille de quinze ans ne s’attarde pas trop dans la rue.

Pire. En mai dernier, à quelques encablures de cette maisonnette de Salvatierra, une étrange odeur venant de l’abattoir a alerté les riverains, ça ne sentait pas que le porc. Et en effet, des charniers ont été découverts dans l’abattoir ainsi qu’à Celaya et dans trois autres villes du coin. Au total, un peu plus de 260 corps, dont ceux de nombreuses femmes et enfants, ont été comptés. Depuis, d’autres charniers sont régulièrement trouvés dans la région. Si les victimes semblent être liées de près ou de loin au trafic de drogue, cela n’enlève rien à l’atrocité de cette réalité. Depuis cinq ans, l’État de Guanajuato est en proie à un ensauvagement qui peine à s’apaiser.

Douche froide en France

Je suis rentré. À la Gare du Nord, j’ai vu des escadrons de militaires et je me suis fait bousculer. Dans le train pour Meaux, mon voisin d’en face écartait délibérément ses jambes pour prouver sa virilité tout en m’imposant du (mauvais) rap français. Lors du même trajet, une femme a fait un scandale, assurant s’être fait peloter. Elle a récolté un océan d’indifférence et même quelques moqueries. Devant la gare de Meaux, un mariage de musulmans. Des regards qui s’évitent afin que l’assemblage du vivre-ensemble ne s’écroule pas. Une étrange cohabitation vendue sous le nom de « diversité ». Le goût de l’huile et du vinaigre qui se côtoient mais ne se mélangent pas. J’ai regretté la cuisine mexicaine, ces recettes de toutes les couleurs où mille saveurs se mélangent au service d’une seule cause, le Mexique.

Et quand j’ai appris que durant mon absence, un ancien parachutiste s’était fait tabasser jusqu’à la mort à Montauban -et qu’un policier s’était fait lyncher à Saint-Leu-la-Forêt-, j’ai eu envie de retourner à Celaya.




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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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