Reprocher à la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) de ne pas avoir ouvertement condamné la charia dans l’arrêt qu’elle a rendu sur une affaire de succession grecque, c’est lui faire un procès qu’elle ne mérite pas.
Il peut être fait maintes critiques à la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), à son hégémonie ou encore à son interprétation des libertés dont elle est chargée d’assurer l’effectivité.
L’expansion grandissante des Droits de l’Homme, la lecture universaliste des droits fondamentaux qui a pour effet de s’attaquer à toute singularité collective, à toute tradition, à tout enracinement des peuples est en effet exaspérante. Elle donne aux individus les armes juridiques pour refuser de s’intégrer dans un collectif, leur permet de continuer à dire « je » et refuser de dire « nous ».
L’ingérence insupportable du comité des Droits de l’Homme de l’ONU récemment, s’agissant de la loi relative à l’interdiction en France de la burka, est à cet égard parfaitement révélateur des effets néfastes d’un droit de l’hommisme individuel triomphant.
Les révolutionnaires français avaient eu le bon goût de faire des Droits de l’Homme également ceux du citoyen, ceux qui profitent au citoyen, intégré dans sa cité, et non à l’homme déraciné individu roi.
La Cour européenne des Droits de l’Homme peut, à maints égards, agacer. Mais si l’on veut faire la critique de cette institution, alors faisons-le loyalement.
Considérer que la Cour aurait, par un arrêt du 19 décembre 2018, utilisé la Convention européenne des Droits de l’Homme comme cheval de Troie de l’islamisation de l’Europe, c’est faire preuve de mauvaise foi.
Au sujet d’une affaire de succession en Grèce, la CEDH a écarté l’application de la charia. Elle ne l’a pas condamnée en tant que telle.
Etait-ce la question qui lui était posée ? Non. La Charia est un texte qui couvre l’ensemble des domaines de la vie. Dans l’affaire grecque, elle s’appliquait à une histoire de succession. Nous n’étions nullement dans un cas de lapidation ou de mutilation. Il n’y avait donc pas matière pour la Cour à prononcer en l’espèce une condamnation de principe à laquelle, au demeurant, elle s’était déjà livrée.
Une interprétation particulièrement audacieuse lancée sur le FigaroVox par Grégor Puppinck, et relayée par beaucoup, aura mis le feu aux poudres.
Ce qui semble poser problème est non la solution à laquelle est arrivée le juge que le commentaire qu’il assortissait à sa décision.
Le communiqué de presse attaché à la décision indique que chaque Etat peut « créer un cadre juridique déterminé pour accorder aux communautés religieuses un statut spécial impliquant des privilèges particuliers ».
Il n’en fallait pas moins pour que l’on puisse considérer que la création au profit de communautés religieuses d’un statut spécial impliquant des privilèges particuliers, justifiait le communautarisme et l’application de la charia qui est effectivement un cadre juridique déterminé au profit d’une communauté religieuse.
Or, la phrase suivante du communiqué, opportunément non citée par Monsieur Puppinck est :
« Néanmoins, un État qui a créé un tel statut doit veiller à ce que les critères pour que ce groupe bénéficie de ce statut soient appliqués d’une manière non discriminatoire. »
Ce faisant, instituant le cadre de l’application d’un tel statut, c’est-à-dire le refus de la discrimination, la Cour place sans ambiguïté la protection des libertés conventionnellement garanties au-dessus de tout statut spécial impliquant des privilèges particuliers.
En faisant prévaloir les principes de la Convention sur tout statut spécial, la Cour manifeste clairement la prééminence de notre ordre juridique sur les pratiques religieuses. Par le passé, la Cour a eu l’occasion de rappeler « l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie ».
Si à en lire la Cour, chaque Etat peut créer un cadre juridique déterminé pour les communautés religieuses, il le peut, c’est une possibilité, non une obligation et, conformément à la jurisprudence de la Cour, cela ne saurait naturellement être la charia. En tout état de cause, chez nous en France, la loi de 1905 ne permettrait pas la création d’un tel cadre juridique.
Alors, voir l’arrêt du 19 décembre 2018 comme l’instrument de l’islamisation de l’Europe, c’est accorder de l’importance à une décision qui n’en mérite pas.
On reproche souvent à certains de jouer inutilement sur les peurs en convoquant systématiquement les années 30, on devrait également s’émouvoir des lanceurs d’alerte imprudents sur l’islamisation.
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